Je l’avais rencontré plusieurs fois avec une jeune fille d’une ravissante beauté : jamais je n’avais vu sur un visage plus d’innocence et de douceur ; sa démarche était aisée et décente, sa voix vibrante et mélodieuse ; ses regards timides laissaient cependant échapper des éclairs d’intelligence. Quelquefois ils assistaient tous les deux à quelque bel opéra dans une baignoire, et leurs deux âmes à l’unisson savouraient cette belle langue appelée la musique, qui commence là où finit la langue humaine.
D’autres fois, je les avais rencontrés dans un canot descendant la Seine entre des rives ombreuses et fleuries.
Un jour que je le vis seul, je lui parlai d’elle.
– Elle a, lui dis-je, une physionomie pleine d’honnêteté.
– Sans doute, dit-il, elle travaille assidûment toute la semaine et ne sort que le dimanche avec moi. Sa mère, qui est toute sa famille, ferme les yeux sur notre liaison.
– Elle paraît intelligente.
– Elle a un charmant esprit ; elle comprend tout et apprécie tout ; elle aime la musique et la peinture ; elle jouit avec délices des beautés de la nature.
– Elle est jolie.
– Jolie et admirablement faite. C’est le plus joli pied, la plus jolie main… une taille…
– Et elle vous aime…
– Avec dévouement ; elle m’en a donné cent preuves.
– Vous devez être bien heureux, alors ?
– Hélas ! me dit-il, ce n’est pas une maîtresse qui fasse honneur à un jeune homme, comme celle-ci.
Et il me montrait une figure hâve, flétrie et peinte, qui passait près de nous. Elle était couverte de riches étoffes ; mais sa coiffure, sa démarche, sa physionomie, tout racontait l’effronterie, le vice, la prostitution, la honte. C’était une fille qui s’est fait une célébrité par une façon particulièrement indécente de danser dans les bastringues, et elle est entourée, adulée, fêtée. Il n’y a rien de trop beau pour lui être offert. Des jeunes gens de famille se disputent à qui se ruinera pour elle. Aucun d’eux n’a la prétention, l’ambition, de l’avoir tout entière ; on se partage ses honteuses faveurs.
Et voilà sur quel fumier s’épanouissent aujourd’hui les premières fleurs de l’amour dans les cœurs de vingt ans !