XXVII Une locution proverbiale. – Les contes de fées.

J’entends souvent dire : « C’est une querelle d’Allemand. » – Je ne sais vraiment pas sur quoi est fondé ce dicton. – Je suis né Allemand, je connais beaucoup d’Allemands, et je ne vois pas en quoi cette aptitude à chercher querelle sur des motifs futiles peut leur être attribuée de préférence aux autres peuples. – Je crois qu’il s’agit simplement d’une corruption de mot, comme il s’en fait facilement dans les dictons devenus populaires, qui, à force de passer de bouche en bouche, ne manquent jamais de subir des altérations. Certes, je ne veux pas, à l’exemple de Ménage, prétendre que tirelarigot vient de fistula, et laquais de verna : je ne suis pas pour les étymologies aussi laborieuses ; mais je pense que dans l’origine, à propos des querelles sans motifs réels, venant de susceptibilité, on n’a pas dû dire une querelle d’Allemand, mais bien une querelle d’amant.

* * *

J’entrai l’autre jour chez une jeune femme, que je trouvai mélancolique. – Je suis triste, dit-elle ; j’ai lu hier des contes de fées ; j’ai rêvé toute la nuit de fées marraines qui vous comblent de dons précieux, – du chapeau de roses du prince Lutin, qui rend invisible, – de l’anneau du prince Loulou, qui le fait paraître si charmant, qu’aucune femme ne lui résiste, – et, en me réveillant, j’ai été toute découragée de me retrouver dans la vie réelle.

– C’est que vous ne regardez pas bien, lui dis-je ; ces prodiges se renouvellent tous les jours. – Vous n’avez qu’à dire tantôt aux gens qui vous feront visite que vous êtes filleule, ou nièce, ou cousine d’un homme en place, et vous verrez que de beauté et d’esprit cela ajoutera au joli lot que vous en avez déjà ; – vous verrez que de complaisances et d’adulations on aura pour vous. – Il n’y a même pas besoin, comme dans les contes de fées, que vous soyez réellement la filleule, il suffît de le dire.

Je sais un homme – qui est né grossier, butor, laid, mal bâti et bête autant qu’on peut l’être ; – eh bien ! lorsqu’il met à son doigt un anneau sur lequel est un gros caillou appelé diamant, – il devient spirituel, bien élevé, joli et de très-bonne compagnie, – du moins tout le monde le voit ainsi.

Quand je veux me rendre invisible, – j’ai un certain vieux chapeau, rougi et chauve, que je mets sur ma tête comme le prince Lutin fait de son chapeau de roses ; – j’y joins un certain paletot râpé ; – eh bien ! je deviens invisible, personne ne me voit, ne me reconnaît, ne me salue dans la rue.

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