XXIX. Une science permise

N’aurez-vous donc jamais, mesdames, aucune pitié de ces pauvres fleurs, le tribut le plus ordinaire que l’on apporte à vos pieds ? Ne songez-vous jamais qu’on les sépare de leur tige, et qu’on se hâte de vous les livrer pour que vous les voyiez mourir, – pour que vous respiriez leur dernier soupir parfumé ?

Celles que je plains le plus ne sont pas encore celles qu’on vous donne en bouquet : celles-là reçoivent du sécateur une mort assez rapide ; mais que dirai-je de ces pauvres malheureuses qu’on vous offre en pots ou en caisses, avec un peu de terre aux pieds, et dont l’agonie est si longue et si douloureuse ? – Avez-vous donc quelque cruel plaisir à les voir souffrir ainsi ? – Les poètes dont les vers s’enroulent autour des mirlitons ou se plient en quatre dans les diablotins, à force de vous dire qu’elles sont vos rivales, vous ont-ils inspiré contre elles de mauvais sentiments ?

Elles, vos rivales ! elles qui ne font qu’ajouter à votre beauté, – elles qui, en foule, viennent mourir chaque jour dans vos cheveux et sur votre sein, ou, mort plus cruelle ! oubliées sur le marbre d’une console, ou sur le velours d’une banquette, – au bal ou au théâtre !

Non, il est impossible que vous n’aimiez pas les fleurs, impossible que vous n’ayez pas quelquefois le désir de soulager celles qui jaunissent, se fanent et meurent dans vos jardinières ; – mais pour cela il faut apprendre un peu, – car l’eau qui sauvera l’une en humectant son pied sera mortelle pour l’autre et la noiera ; – celle-ci aime l’air et celle-là la chaleur. – Le tussilage, l’héliotrope d’hiver, meurt de ce qui fait fleurir le camellia, – de la chaleur de vos appartements.

Ne s’attacherait-il pas quelque chose qui tiendrait l’amitié à la plante qui fleurirait chez vous pour la seconde fois ? – à celle qui vous devrait ses éclatantes couleurs et ses suaves parfums ? – On aime ceux à qui on fait du bien. Les moralistes ont dit cent sottises en exigeant du dévouement de l’obligé ; – c’est le bienfaiteur qui a tout le bonheur du bienfait, c’est lui qui doit et qui a la reconnaissance. – S’il l’attend, c’est un fou ; s’il l’exige, c’est un usurier.

Cette fleur que j’ai soignée, cette plante qui se penchait faible et languissante, à laquelle j’ai rendu la vie et la santé, – ce n’est plus une plante et une fleur, c’est ma fleur et ma plante à moi.

L’ombre est plus douce sous ces arbres que j’ai plantés moi-même ; – cette belle glycine aux grappes bleues si odorantes qui tapisse ma maison, je songe que c’est moi qui l’ai rendue si vigoureuse et si bien portante ; – c’est moi qui lui ai mis aux pieds cette bonne terre de bruyère qu’elle aime ; c’est moi qui l’ai palissadée au midi ; – ses parfums m’appartiennent mieux, et j’en jouis davantage ; elle a l’air si heureux ! sa végétation est si luxuriante !

Voilà une douce science, – une science permise, une science que le cœur cherche.

Ce n’est pas comme la botanique, – qui vous apprend à dessécher les fleurs et à les injurier en grec.

L’horticulture vous enseigne à les rendre plus belles et plus heureuses.

Reprenez aux hommes ce qu’on appelle encore en province le sceptre de Flore. – Ce n’est pas une femme qui aurait jeté ces pauvres fleurs dans les agitations politiques et dans les fureurs des partis.

Le lis et la violette ont été tour à tour triomphants et proscrits ; l’impériale a été guillotinée en 1815.

Ce n’est pas une femme qui ferait jouer ce rôle ridicule aux œillets rouges, – au moyen desquels certains hommes réussissent à faire croire, à dix pas, qu’ils sont décorés, et à faire voir, à trois pas, qu’ils sont des sots.

Créer des fleurs, – c’est le seul ouvrage pour lequel Dieu accepte des collaborateurs. – L’art a créé des fleurs ; quel doux orgueil s’il naissait une plante nouvelle semée par vous, – une plante qui n’existerait que dans votre jardin, – dont personne ne verrait les couleurs et ne respirerait les parfums que ceux à qui vous les donneriez, comme Dieu a donné les autres plantes à tout le monde.

Que d’autres savants découvrent une nouvelle planète qui ne nous donne rien, ni chaleur ni lumière, – mais qu’une femme découvre et crée une rose inconnue qui nous donnera un parfum nouveau !

J’ai connu deux amants qui, désunis par une triste destinée, – sont morts tous deux sans se revoir, après une longue séparation. Ils ne pouvaient s’écrire, – mais je ne sais lequel des deux eut une idée ingénieuse : sans exciter de soupçons, ils échangeaient de loin les graines des fleurs qu’ils cultivaient ; – ils savaient qu’à deux cents lieues de distance – ils prenaient les mêmes soins, – voyaient les mêmes fleurs s’épanouir dans la même saison et le même jour ; – ils respiraient les mêmes odeurs. – C’a été un bonheur et le seul bonheur de toute leur vie.

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