VII. Utilité de l’histoire. – À l’église. – Les visites. – L’éducation et la vie. – La beauté et la manière de s’en servir. – L’âge des femmes. – L’amitié.

Défiez-vous même des respects de la part des hommes. La femme prudente qui voit un homme à ses genoux fera bien de ne pas oublier que c’est cette posture que Jacques Clément trouva la plus commode pour poignarder Henri IlI.

Au commencement de la vie, la jeunesse peut tenir lieu de beauté aux femmes qui en manquent ; plus tard, le sexe peut encore tenir lieu de beauté et même de jeunesse, mais seulement auprès des très-jeunes gens auxquels leur âge tient lieu d’amour.

La plupart des femmes ont une singulière religion : c’est le dimanche, en grande parure, qu’elles font à Dieu, dans ses églises, une visite de cérémonie, à l’heure où tout le monde y va, et où elles espèrent bien ne pas rencontrer le maître du logis ; alors chacune, sous air de prier Dieu, ne néglige aucun moyen de le faire oublier aux autres ; par la parure, par les attitudes, on s’efforce d’attirer la pieuse attention des fidèles de l’autre sexe, et de les damner, autant que possible, en leur faisant adorer des idoles.

N’est-ce pas le maréchal de Richelieu qui disait : « Il faut découdre l’amitié et déchirer l’amour ? »

Il y a une grande et terrible punition pour les voyageurs comme pour les amants inconstants : – c’est l’arrivée et le triomphe ; ils voient alors comment se ressemblent tous les pays et toutes les femmes.

– Le bonheur ! c’est cette maison si riante au toit de chaume couvert de mousse et d’iris en fleurs. Il faut rester en face ; – si vous entrez dedans, vous ne la voyez plus.

– Voici ce qui se passe dans les visites qui occupent une si grande partie de la vie de certaines femmes :

CIDALISE. – Que vous êtes bonne de venir me voir ! Il y a un siècle que vous ne m’aviez fait ce plaisir. – Que votre chapeau est donc joli !

ARAMINTE. – Vous trouvez ?

CIDALISE. – Il est d’un goût parfait ! il n’y a que vous pour avoir cette élégance distinguée.

ARAMINTE. – Vous êtes ce matin tout à fait en beauté, et ce négligé vous sied à ravir. – Je viens de voir Arsinoé ; – elle était odieusement fagotée.

CIDALISE. – Que voulez-vous qui aille bien à un pareil visage ? – Ah ! le charmant mantelet ! Qui vous l’a fait ?

ARAMINTE. – Madame***. – Et Phylis…, qu’en faites-vous ?

CIDALISE. – Mais je n’en fais rien. – Qu’en pourrait-on faire ? – Ça n’a pas deux idées dans la tête. – Et puis… vous savez son histoire ?

ARAMINTE. – Oui, avec le chevalier.

CIDALISE. – J’ai failli lui fermer ma porte. – Eh quoi ! vous partez déjà ?

ARAMIMTE. – Oui : j’ai quelques emplettes à faire.

CIDALISE. – Ne soyez plus si longtemps sans venir, et ne soyez pas une autre fois si pressée.

Un peu après le départ d’Araminte, qui va raconter dans une autre maison que Cidalise est jaune comme un coing, et qu’elle met chez elle un négligé indécent, arrivent Phylis et Arsinoé.

CIDALISE. – Ah ! que vous êtes bonnes de venir me voir ! – Il y a un siècle que vous ne m’aviez fait ce plaisir. – Le charmant voile que vous avez là, Arsinoé – et vous, Phylis, jamais je n’ai vu personne chaussée comme vous ; mais ça n’est pas difficile, avec un pied comme le vôtre.

PHYLIS. – Parlez donc de pieds, vous qui avez des pieds d’enfant !

ARSINOÉ. – Je ne vous connaissais pas ce bracelet, Cidalise, il est délirant.

CIDALISE. – Araminte sort d’ici.

ARSINOÉ. – Ah !… elle m’avait dit qu’elle ne vous voyait plus.

CIDALISE. – Vraiment !… Eh bien ! ça pourra bien lui arriver quelque jour : – si elle croit que le monde admet sans contrôle ses promenades au bois de Boulogne avec M. de…, elle se trompe beaucoup !

PHYLIS. – C’est une horreur !

CIDALISE. – Elle avait le plus extravagant chapeau qu’on puisse imaginer – et un mantelet d’un ridicule !… elle était à faire peur ; et puis, elle ne sait pas s’en aller, j’ai cru qu’elle coucherait ici. – Eh quoi ! vous partez déjà ? au moins ne soyez plus si longtemps sans venir me voir, et une autre fois ne soyez pas si pressées.

Arsinoé et Phylis vont raconter ailleurs les prétentions à la sévérité de Cidalise, qui pourtant, etc. Cidalise attend une autre visite pour détailler l’affublement ridicule d’Arsinoé et les airs de prude de Phylis, qui cependant, etc.

Dans l’éducation des filles, en même temps qu’on leur dit que l’honneur consiste à n’avoir pas d’amants, d’autre part, en leur imposant des études, des gênes, des contrariétés, on ne leur propose d’autre but et d’autres récompenses que l’augmentation de leurs moyens de plaire.

– Ce n’est pas par l’austérité qu’on sauve un homme de la débauche – c’est par l’amour.

– Les hommes ont usurpé l’empire sur les femmes par la force, mais elles le reprennent par la beauté, et surtout par la manière de s’en servir. Il y a des femmes qui se donnent en bloc, celles-là sont exposées à faire de bien mauvaises affaires : elles ressemblent à quelqu’un qui irait au marché avec un lingot d’or ou avec un énorme diamant qu’il lui faudrait donner, faute de menue monnaie, pour la première chose qu’il voudrait acheter – fût-ce une botte de petits radis. – Parlez-moi pour réussir de celles qui ont de la monnaie, de celles qui payent ceci d’un sourire et cela d’une distraction, – qui octroient, selon la valeur exacte de leurs acquisitions, une petite pression de main, – ou un regard langoureux, – ou la rencontre de deux pieds sous une table, – ou des espérances plus ou moins vagues, selon le prix plus ou moins important qu’elles attachent à ce qu’elles veulent acheter ; les autres se ruinent dès leur première affaire.

– Quand il ne s’agit que de s’aimer, il n’y a pas de danger à se laisser mutuellement séduire par les charmes et les qualités l’un de l’autre, – mais, quand il s’agit de mariage, il serait utile que chacun sût s’il pourra supporter les défauts de l’autre.

Parce que vous avez étudié les femmes et vous pensez les connaître, ne vous croyez pas néanmoins à l’épreuve de leurs séductions. Heureusement pour vous, qu’un regard, un mot, un sourire, vous feront oublier en un instant toute votre science et toutes vos découvertes.

On a beaucoup écrit pour et contre le mariage, pour et contre le célibat, et la question n’a pas été résolue. Je ne m’aviserai pas de donner mon avis à ce sujet – je ferai seulement remarquer que le célibataire peut toujours cesser de l’être au moment où il découvrira qu’il s’est trompé.

Quand une femme dit d’une autre femme : « Elle est bien faite, » cela veut dire qu’elle louche et qu’elle a des marques de petite vérole. – Si elle dit seulement que « c’est un bonne personne, » jugez hardiment que celle dont elle parle est laide et contrefaite.

Il se trouve quelquefois des femmes qui aiment mieux faire des vers que d’en inspirer, qui aiment mieux être le prêtre que le dieu, et qui descendent du ciel pour arracher l’encensoir à leurs adorateurs.

Il n’est pas rare de voir une femme arriver aussi sûrement et certainement plus vite à la vérité, par la force et la spontanéité de l’intuition et du sentiment soudain, qu’un homme par la méthode et la justesse du raisonnement.

On reproche souvent aux femmes l’habitude qu’ont la plupart d’entre elles de ne pas dire la vérité sur leur âge. Il me semble que cela dénonce un ridicule des hommes bien plus qu’une fausseté des femmes.

Qu’est-ce, en effet, qu’on doit entendre par la jeunesse d’une femme, et en quoi est-ce un avantage ?

C’est que ordinairement, dans la jeunesse, une femme possède un frais et rose duvet de pêche sur une peau ferme et unie ; une taille flexible, une démarche légère, trente-deux dents blanches et polies ; les yeux, fenêtres de l’âme, scintillants d’un éclat voilé.

Beaucoup de femmes de trente ans ont conservé ces avantages – beaucoup de femmes de dix-huit ans ne les ont plus ou ne les ont jamais eus.

Heureusement pour celle-ci qu’il se trouvera toujours assez de niais pour préférer la femme de dix-huit ans, parce qu’elle est jeune. Je comprends très-bien qu’on demande l’âge d’une femme que l’on n’a pas vue. – En effet, d’après l’âge d’une femme, on peut faire des conjectures sur les charmes de sa personne ; il y a beaucoup de chances pour qu’une fille de dix-huit ans soit plus jeune qu’une femme de trente ans. Mais à quoi sert de demander l’âge d’une femme que l’on peut voir ?

Si vous étiez obligé de faire choisir à la cave quelques bouteilles de vin par un domestique normand qui ne connaît que le cidre, qu’il vous fût impossible d’y descendre vous-même et de goûter le vin, il serait très-raisonnable de lui dire : « Si tu vois des bouteilles dont le goulot est surmonté d’une capsule de plomb, et d’autres étroites et allongées au travers desquelles on aperçoit un très-long bouchon, – c’est bon signe : ce doit être du vin de Champagne et du vin de Bordeaux. Tu prendras ces bouteilles-là ? »

Mais si, ayant à choisir le vin vous-même, et descendu dans la cave, vous refusiez l’offre qu’on vous ferait de goûter les fûts, vous déclarant satisfait de la forme des bouteilles et de celle des bouchons, – je vous tiendrais pour un homme plus confiant que gourmet.

Or, la plupart des hommes attachant et surtout affectant d’attacher un prix énorme à l’étiquette de l’âge des femmes, c’est-à-dire, non à leur jeunesse en réalité, mais au nombre de leurs années – non à la jeunesse qu’elles ont, mais à celle qu’elles passent pour avoir – non à la chose, mais au nom, – il faut bien les servir à leur goût. – D’autre part, une fois qu’il est établi que les femmes se rajeunissent, elles auraient tort de ne pas le faire, car on ajoutera toujours mentalement quelques années à l’âge qu’elles se donneront, quand même elles ne dissimuleraient ni un jour ni une heure ; je ne parle pas pour moi, car sous ce rapport je ne me trompe guère, et ensuite je ne demande pas mieux que d’être trompé – et j’aimerais mieux une vieille femme qui serait jeune qu’une jeune femme qui serait vieille. – Cela a l’air d’une des opinions les moins hardies de M. de la Palisse – et cependant j’ai trouvé peu d’hommes de mon avis.

« Votre femme est une rose, disait-on à un poète aveugle. – Je m’en doutais aux épines, » répondit-il.

– Relativement aux femmes et à l’amour – l’homme est bien faible, surtout quand il est fort.

– On appelle souvent vertueuses et on honore comme telles des femmes dont l’honnêteté consiste en ceci : acheter tout ce que les femmes achètent, et payer en billets qu’elles ne payent pas à l’échéance.

Je ne comprends pas l’amour pour une fille avec laquelle on a été élevé, à laquelle on a vu apprendre longuement et péniblement chacun des charmes qu’elle possède.

L’exquise propreté qui rend aujourd’hui la jeune fille si appétissante, je sais encore avec quelle peine on la lui a fait prendre en habitude dans son enfance, et quels hurlements elle jetait aussitôt qu’on lui passait un linge mouillé sur la figure. J’ai appris à danser en même temps qu’elle, et je me rappelle toutes les gaucheries, toutes les maladresses qu’il lui a fallu perdre une à une avant d’acquérir cette démarche noble et aisée qui lui donne aujourd’hui cet air imposant de déesse – et vera incessu patuit dea. – Comment oublier la voix de la vieille servante qui lui criait : « Mais, mademoiselle, voulez-vous bien ne pas monter aux arbres comme un garçon ! – Mais, mademoiselle, voulez-vous bien ne pas vous gratter ! – Mais, mademoiselle, voulez-vous bien ne pas mettre vos doigts dans votre nez ! » etc. – Et, quand on admire sa voix fraîche et pure, et son talent sur le piano, puis-je jouir comme les autres d’un agrément que j’ai payé d’avance par cinq ou six années pendant lesquelles je l’ai entendue faire sans interruption des gammes inexorables – et par tous les tons faux et discordants qui sont sortis de son gosier pour mes oreilles avant qu’elle arrivât à cette justesse qui enchante aujourd’hui ?

Je ne sais s’il peut y avoir de l’amour sans illusions, sans mystère, sans curiosité ; – mais du moins c’est ainsi que l’amour commence avant de devenir une vivace habitude assez robuste pour s’alimenter de réalités.

Je ne sais plus quel jésuite qui faisait des vers latins fut informé un jour qu’un auteur, son contemporain, l’accusait d’avoir commis une faute de quantité dans un mot, et d’avoir fait brève de son autorité une syllabe que l’on trouve longue dans Virgile et dans Perse.

Le poëte publia une satire contre son critique ; et, dans cette satire, il l’appelait traître, voleur, faussaire, empoisonneur, assassin. Je passe quelques épithètes qui effaroucheraient les lectrices.

Des amis communs les rapprochèrent. Après explication, le critique reconnut que ladite syllabe ayant été employée comme brève par Martial et par Ovide, le Père avait été dans son droit, et qu’il n’y avait plus de faute dans son vers. Le poète, de son côté, reconnut que, puisqu’il en était ainsi, le critique n’était ni un traître, ni un voleur, ni un faussaire, ni un empoisonneur, ni un assassin, ni aucune des choses que je n’ai pas voulu désigner.

C’est ainsi que pensent les femmes en général de toute femme qui se trouve sur leur chemin et gêne leur vanité ou leur amour. Il y a certaines qualités qu’elles attribuent sans examen à la femme qui aime l’amant d’une autre, telles que l’impudicité, la perfidie, la scélératesse, la dissipation, la prodigalité, etc., etc. Mais elles lui feront grâce volontiers de toute cette nomenclature, si elles peuvent la trouver, la dire et la faire croire laide.

L’amitié n’existe pas plus entre deux femmes qu’entre deux épiciers domiciliés en face l’un de l’autre. L’amitié d’homme à femme est une chimère, à moins que l’on ne donne le nom d’amitié à une liaison dans laquelle l’amour est devenu l’accessoire après avoir été le principal. Mais je parle de cette amitié que les femmes vous proposent si facilement en retour d’une déclaration d’amour, c’est-à-dire une amitié pure de tout… amour.

On comprend très-bien que l’amour se décide à la première vue, mais l’amitié ne peut naître que d’une longue habitude ; l’homme auquel on fait cette proposition a donc le droit de répondre très-raisonnablement : « De l’amitié, madame ! pardon ! mais je ne me décide pas si vite, je ne sais pas, je ne saurai pas de longtemps si vous méritez mon amitié ; pour l’amour, c’est une autre affaire, vous me plaisez, votre présence accélère les battements de mon cœur, j’ai de l’amour pour vous ; – mais de l’amitié, nous en reparlerons plus tard. »

Les femmes, du reste, qui veulent qu’on croie à la pureté de leur liaison d’amitié avec un homme, y ajoutent peu de foi quand il s’agit d’autres femmes qu’elles-mêmes, et elles ne répondent que par un sourire d’incrédulité à l’affirmation qu’un homme leur fait qu’il n’a avec une femme de leurs amies qu’une liaison de tendre amitié, dégagée de tout ce qui appartient à l’amour.

Je n’aime pas qu’une femme parle de sa propreté ; laquelle cependant, a-t-on dit avec raison, est une demi-vertu ; ni qu’elle affecte, comme font beaucoup, de mentionner qu’elle prend souvent des bains, etc., de même que je n’aime pas qu’on m’avertisse que je bois de l’eau filtrée : la mention que l’eau est filtrée me rappelle qu’elle en avait besoin, et qu’elle n’a pas toujours eu cette transparence et cette limpidité.

Je n’aime pas non plus qu’une femme parle de son corps, surtout en détail ; qu’elle dise : « Je me suis cogné le genou, » ou : « J’ai acheté des jarretières, des chemises. » Ceux-là seuls me comprendront qui comprennent comme moi tout ce que les vêtements longs, amples et flottants, donnent à la femme de charmes mystérieux et de grâce ineffable.

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