C CE QUI SE PASSA DANS LA MAISON PRÉPARÉE POUR MAGDELEINE.

C’était dans la petite maison de Stephen ; un des derniers jours d’automne, alors que le soleil, semblable à une lampe qui va s’éteindre, semble se ranimer et nous donne encore quelques beaux jours. Il était dix heures de la nuit.

La lune, au travers du feuillage, répandait sur l’herbe un reflet bleuâtre, un jour incertain qui prêtait aux arbres et aux arbrisseaux mille figures fantastiques. Le feuillage, qui se dessinait et se découpait vigoureusement sur le ciel, paraissait noir ; l’air était calme et embaumé par les dernières fleurs des chèvrefeuilles ; la journée avait été excessivement chaude et l’air était encore tiède.

Tandis qu’à travers les vitres de la maison on voyait briller les bougies, et que de temps à autre un vent léger apportait par bouffées le retentissement des éclats de rire et de la musique, à travers les arbres deux ombres s’avancèrent silencieuses : c’était un homme et une femme.

— Êtes-vous mieux ?

— Oui, l’air m’a fait du bien : rentrons.

— Déjà ! pourquoi ne pas savourer plus longtemps cet air si calme et si pur, ce silence qui n’est troublé que par le tressaillement des feuilles ? Je vous en prie, restons encore un peu.

— Reconduisez-moi au salon, et vous pourrez revenir seul.

— Non. J’ai besoin d’une femme avec moi. Votre présence ajoute encore à la douce émotion que je ressens. Cette belle nature parée et parfumée, cette lune avec sa lumière si douce, tout semble un temple pour l’amour. Si vous n’étiez pas auprès de moi, il me semblerait que mon existence est incomplète.

Et il pressait la main de sa compagne, et tous deux, sans rien dire, allèrent s’asseoir sur le petit banc de verdure.

— Quel calme ! quel silence ! Dans le tumulte de la ville, l’amour est un plaisir ; ici, c’est un besoin, c’est une condition de la vie, c’est la vie.

Et il passa son bras autour d’elle.

— Laissez moi, ôtez votre bras : que va-t-on penser de notre absence ? On nous attend pour retourner à la ville.

— On ne nous attend plus Regardez : la maison n’est plus éclairée, tout le monde est parti, tout est fermé ; nous sommes seuls sous le ciel.

Elle devint tremblante.

— Nous sommes seuls sur ce tapis de mousse et d’herbe, seuls sous ces arbres.

Et il la pressait contre son sein. Tout doucement elle cherchait à se dégager de son bras, mais avec tant de mollesse, que Stephen n’avait pas grand’peine à la retenir ; puis elle cessa de se défendre et s’abandonna au bras de Stephen, laissant tomber sa tête sur son épaule ; son cœur battait si fort, qu’elle pouvait à peine respirer. Stephen aussi, son haleine était brûlante et entrecoupée.

Ils étaient tout près l’un de l’autre ; leurs pieds, leurs genoux, leurs cuisses se touchaient. Stephen passa le bras autour de son cou, et, l’attirant vers lui, posa sa bouche sur celle de Clara ; elle se débattit quelque temps ; puis, n’ayant plus de force, elle se laissa faire et bientôt rendit faiblement les baisers ; il la serra sur sa poitrine, et ils s’embrassèrent d’un long baiser. Stephen la saisit dans ses bras…

— Laissez, laissez, laissez-moi, je vous en prie ; grâce ! Oh ! je t’en prie, laisse-moi !

Et elle se défendait encore.

Mais, à demi-morte, épuisée par ses propres désirs, sans force pour résister, elle s’abandonna à Stephen, et, pendant quelques instants, on n’eût entendu que de longs soupirs et des gémissements étouffés par des baisers. Ils restèrent longtemps dans les bras l’un de l’autre, et les arbres couvrirent de leurs ombres leurs plaisirs jusqu’au moment où, le vent devenant plus frais, ils rentrèrent dans la maison.

Le matin, Stephen n’était plus le même : sombre et taciturne, il hâtait le départ, et comme Clara, courant la maison et visitant chaque chambre l’une après l’autre, allait entrer dans la chambre bleue, il la saisit par le bras et d’une voix pleine de colère il lui dit :

— N’entrez pas dans cette chambre, n’y entrez jamais, je vous tuerais !

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