CXXIII

Un matin, Stephen reçut d’Edward un billet dans lequel un rhume très-fort le retenait chez lui et l’empêchait de faire la partie qu’ils avaient projetée d’aller patiner ensemble.

Stephen se trouva contrarié ; il patinait fort bien et Edward pas du tout, et il n’avait proposé cette partie que pour prendre sur Edward un avantage aux yeux de Magdeleine : non qu’il pensât qu’une femme se décide à aimer un homme parce qu’il patine mieux qu’un autre, mais il était persuadé que tout triomphe, quelque petit, quelque momentané qu’il soit, intéresse toujours une femme, et que, ne pouvant y prétendre par elle-même, elle aime à s’associer à ceux des hommes et à mettre sa tête sous la même couronne, qu’elle soit en or ou en gazon ; et, d’ailleurs, une suite de petites impressions finit par faire comme la goutte d’eau qui, tombant sans cesse, creuse le marbre le plus dur.

Il arriva chez Edward, et, à dessein, avait choisi le vêtement qui lui seyait le mieux.

Edward, en effet, avait la tête enveloppée de bonnets et de serviettes, et il était impossible de ne pas faire involontairement une comparaison entre lui et Stephen, bien fait, svelte et dégagé.

— Il fait un temps superbe, dit Edward, et je suis bien fâché de priver Magdeleine du spectacle des patineurs. Si tu étais bien bon, Stephen, tu la conduirais.

Stephen fut fâché de cette marque de confiance ; il lui sembla qu’il combattait un ennemi sans armes, et il cherchait un prétexte de refus quand Edward, attirant Magdeleine à lui, les deux époux s’embrassèrent tendrement.

Cet aspect ralluma son ressentiment, et il répondit qu’il serait plus convenable de l’accompagner seulement à cheval, et, pendant que l’on apprêtait la voiture d’Edward et que Magdeleine se revêtait de fourrures, il alla faire seller son cheval, son beau cheval gris.

Puis il accompagna Magdeleine, chevauchant à la portière de sa voiture ; et les gens les plus considérables de la ville le saluaient, et les femmes lui souriaient avec complaisance.

Il ne patina pas ; Schmidt, le cousin de Madeleine, les aborda et lui dit :

— Pourquoi donc ne patinez-vous pas, Stephen ? vous effaceriez les plus habiles de tous ceux qui sont ici.

Il fit une réponse évasive ; mais Magdeleine comprit que c’était pour ne pas la quitter.

Au retour, les yeux s’arrêtèrent sur son beau cheval, qu’il maniait avec autant de grâce que d’adresse ; plusieurs personnes l’abordèrent, tout le monde paraissait l’aimer et le vénérer.

Il dit à Magdeleine :

— Le pauvre Edward a dû s’ennuyer ; je le plains surtout d’être obligé de s’affubler ridiculement de bonnets et de serviettes ; il ne pourrait se regarder dans une glace sans rire de lui-même.

Il salua Magdeleine et partit en caracolant, fort content de l’impression qu’il laissait.

Le lendemain il alla trouver Schmidt.

Share on Twitter Share on Facebook