CXXV

Un jour, Stephen trouva Magdeleine occupée à écrire à Suzanne : à son aspect, elle cacha la lettre commencée, et ils parlèrent de choses insignifiantes.

Tout à coup les cris de l’enfant, qui était tombé, attirèrent Magdeleine hors de la chambre, et, pendant qu’elle apaisait le petit blessé et lui mettait dès compresses, Stephen, qui avait remarqué où elle mettait la lettre, la prit et la lut rapidement.

MAGDELEINE À SUZANNE

« Tu as eu, je le crains trop, ma Suzanne, la prudence du chien de berger qui aboie quand un danger menace, mais qui ne peut dire quel est le danger. Tu avais tort de craindre pour moi la présence de M. Stephen, et c’est avec sincérité que je t’ai entièrement rassurée sur mon compte.

» Mais je ne suis pas aussi tranquille sur lui ; il n’a pas, comme moi, des devoirs sacrés pour lui servir de garantie contre l’amour, et il peut ne pas regarder son amour comme un crime.

» Il m’aime encore, Suzanne ; je le crains et je le crois, et je dois prendre tes conseils à ce sujet… »

— Des devoirs sacrés ! dit amèrement Stephen ; tout me rappellera donc ma vengeance ? Ses devoirs sacrés, ils sont un crime, un crime affreux qui m’a condamné aux plus longues et aux plus horribles tortures, et cet enfant qu’elle aime, pour lequel elle donnerait cent fois ma chair et mes os, dont un cri l’a fait pâlir !

» Cet enfant, il me rappelle qu’elle a été dans les bras d’un autre, qu’elle l’a conçu dans des transports de plaisir, qu’il est formé d’elle et de lui. Oui, oui, ma vengeance est légitime !

» Elle a peur de moi ; à cette crainte pour ma tranquillité succédera bientôt la crainte pour la sienne, et que lui ferait ma tranquillité si elle ne commençait pas à m’aimer ? Il faut la rassurer pleinement, et qu’elle ne voie le danger que quand elle sera assez enlacée pour ne pouvoir plus y échapper.

Le soir, il revint, et dans un instant, où il se trouva seul avec elle, il lui dit :

— Magdeleine ! dans un moment d’égarement heureusement passé, j’avais gardé une de vos lettres ; comme il ne doit et peut plus exister, entre nous qu’une bonne et sainte amitié, je vous la rends ; il faut la détruire.

Magdeleine déchira aussi la lettre commencée pour Suzanne.

Elle voulut lui faire part de ses nouveaux sujets de tranquillité et de confiance, mais elle ne put écrire et remit sa lettre à un autre moment.

Peut-être, malgré le plaisir que lui faisait l’assurance du calme de Stephen, était-elle, à son insu, blessée de la mort d’une passion dont elle était fière.

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