VII Edward à Stephen

J’attends toujours une réponse, et quelle que soit ton obstination à garder le silence, je ne me découragerai pas ; je t’écrirai toutes les semaines, tous les jours, et d’ailleurs, comme il n’y a entre nous que dix lieues, un de ces matins je monterai à cheval et tu me verras prendre d’assaut ta retraite.

Personne ici, excepté moi, ne te défend ; on te blâme d’avoir ainsi quitté ta famille, d’avoir renoncé à un mariage avantageux sous le rapport de la fortune, honorable sous celui des convenances, et très-désirable eu égard à la jeune fille, qui est belle et spirituelle ; je te jure qu’à ta place je m’en serais parfaitement accommodé. À propos de mariage, le mien est rompu d’hier, et voici comment :

Hier soir, j’étais chez la mère de Maria, seul avec elles deux, et nous causions des préparatifs de notre mariage, et de ces menus détails qui rapprochent si bien les distances du temps. Maria parla de sa parure. Elle voulait une robe de satin blanc, j’étais d’un avis contraire : elle n’a pas le teint assez blanc pour supporter l’éclat du satin ; néanmoins, je cédai. – Et vous ? me dit-elle. – Moi ? dis-je : oh ! ma toilette est de peu d’importance ; je serai mis comme tous les mariés, un costume habillé. – Oui, dit Maria, vous aurez un pantalon collant. – Ma chère Maria, dis-je, je vous demande grâce pour le pantalon collant. – Non, non, dit-elle, je ne veux pas que vous ayez l’air négligé. – Mais, Maria, dis-je, voulez-vous que les enfants me jettent des pierres à la sortie de l’église ? Laissez-moi déguiser l’exiguïté de mes jambes sous le pantalon large. – Au moins, repartit-elle, vous laisserez sortir de la cravate les pointes du col de votre chemise. – Quel enfantillage ! dis-je. – Oh ! s’écria-t-elle, c’est que ce n’est pas votre usage, et Sophie faisait l’autre jour la remarque que cela va fort mal, et j’ai annoncé que je vous ferais perdre cette habitude.

Je me trouvai un peu impatienté que mademoiselle Sophie se mêlât de mes affaires et que ma fiancée fit déjà parade de son pouvoir sur mon esprit. – Allons, dis-je, n’en parlons plus. – Si, au contraire, parlons-en, dit-elle. – Pourquoi ? – Parce qu’il faut que vous me le promettiez. – Maria, n’avons-nous pas à parler de choses plus intéressantes ? – Nous en parlerons après : répondez-moi. – Quelle futilité ! – Quel entêtement ! – Eh bien, je vous réponds. – À la bonne heure. – Je resterai comme je suis. – Vous plaisantez, sans doute ? – Non. Vous montrez un fort joli caractère ! – Je me montre tel que je suis, et ce n’est pas par de pareilles niaiseries que je veux vous montrer mon amour. – Cela m’apprend à quoi je dois m’attendre quand je serai votre femme. – Allons, dit la mère, Edward, un peu de complaisance.

Je fis un geste d’impatience.

— Tenez, dit Maria, le voilà en colère contre moi, et il dit qu’il m’aime ; voyez comme il a l’air méchant, et cela parce que je veux l’empêcher d’être ridicule ! – Maria, c’est me dire que je l’ai été jusqu’à ce jour. – Prenez-le comme vous voudrez, mais il est inouï qu’un promis soit aussi peu complaisant. – Mais, si ce qui vous paraît bien me paraissait ridicule, à moi ! – Tenez, vous n’avez pas le sens commun. – Maria, ne nous querellons pas pour si peu de chose : je ne me mêlerai pas de vos ajustements, ne vous occupez pas des miens, et que ce sujet soit fini, dis-je sévèrement. – Mon gendre, dit la mère, je suis contrainte de vous blâmer.

J’étais horriblement contrarié de cette petitesse d’esprit, et de ce caprice, et de cette prétention à la domination.

— Morbleu ! madame, dis-je à la mère, mêlez-vous de vos affaires !

— Vous êtes un impertinent ! dit-elle. – Et vous, deux sottes créatures, dis-je. Et je pris mes gants, ma canne et mon chapeau. – Edward, dit la mère, songez à ce que vous allez faire.

J’hésitai ; mais Maria dit :

— Laissez-le libre.

Je partis, et ce matin j’ai reçu une lettre qui m’interdit la maison.

Ce mariage était loin d’être aussi avantageux que le tien, et je ne le regrette pas ; d’ailleurs, la fortune de mon oncle me suffira.

Ton frère t’écrit quelques mots, il veut te faire part d’une résolution qu’il a prise.

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