L

Je suis si fatigué, qu’à peine si j’ai en la force de donner hier un coup de sabre à un de mes camarades.

EUGÈNE KARR.

Magdeleine était depuis le matin à la fenêtre ; son œil inquiet cherchait à percer le brouillard qui s’élevait lentement de la terre et se dorait aux rayons d’un beau soleil d’automne.

Un jeune homme enfin apparut, couvert de sueur et de poussière et marchant d’un pas rapide. Quand il eut aperçu Magdeleine, il s’arrêta, pâle, et mit la main sur son cœur, que sa poitrine ne pouvait plus contenir.

Puis il entra au jardin. Il revit ces lieux si pleins de souvenirs : l’herbe était verte et épaisse, l’aubépine n’avait plus de fleurs.

Il se trouva reporté à des jours de bonheur si courts et si peu nombreux, le même air, le même soleil, le même parfum.

Il revit sur un des tilleuls le chiffre qu’il y avait tracé un an auparavant ; les lettres avaient grandi sur l’arbre en profondes cicatrices.

Et Magdeleine ne descendait pas.

Il attendit longtemps, à chaque instant retenant son haleine pour distinguer le bruit de ses pas, ou craignant de voir venir M. Müller, et prêt à se jucher dans un arbre pour ne pas être reconnu.

Le soleil se coucha.

Il fallait partir. Stephen arracha deux branches de chèvrefeuille et en laissa une sur l’herbe pour Magdeleine.

Comme il sortait et se retournait pour voir encore la maison, il aperçut, à la lueur incertaine du jour presque éteint, la robe blanche de Magdeleine ; de la fenêtre, elle lui faisait signe de s’arrêter.

Et elle tendit un papier ; mais, craignant qu’il ne fût emporté par le vent, elle enveloppa dedans quelque chose de pesant, le jeta à Stephen et referma la fenêtre. Plus de deux heures s’écoulèrent avant que le pauvre garçon trouvât la lettre ; enfin, muni de ce précieux trésor, il se remit promptement en route.

Elle lui écrivait :

« Je ne pourrais descendre au jardin sans mon père ; c’est un moment de bonheur que le sort nous arrache bien cruellement. Tu as le bras en écharpe, tu es blessé. Ô mon Stephen ! ce n’est pas moi qui te donne des soins ! Je vais bientôt me rapprocher de toi, je passe l’hiver auprès de Suzanne. Adieu, je t’aime. »

Ce qui avait servi à donner de la pesanteur à la lettre, c’était un cachet sur lequel étaient gravées les initiales des deux noms. Stephen le serra précieusement avec la lettre.

Le matin, il avait fait la moitié du chemin sur une voiture de roulier : mais, le soir, il n’eut pas la même ressource et il lui fallut marcher toute la nuit. Le jour commençait à poindre quand il entra dans la ville.

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