XXVII Le départ

Ô le soleil, le beau soleil,
Qui fait dans le jardin tout riant et vermeil !

Le rouge est la couleur des roses
Quand au matin, jeunes écloses,
Elles rompent leur bouton vert.

Le vert est la couleur de l’épaisse feuillée
Où la fauvette et sa couvée
Mettent leur retraite à couvert.

L’azur est la couleur du ciel pur de l’automne
Ou des bluets que, pour mettre en couronne
Les enfants vont chercher au sein des blés jaunis

Mais, quand sur toute la nature,
Sur le sol, sur les eaux, sur la molle verdure,
Le beau soleil étend son magique reflet,

Tout change, tout s’éveille et s’anime à l’envi.
La couleur du soleil, c’est celle de la vie :
C’est un regard d’amour que Dieu laisse tomber

Le matin, dès que le jour parut, Stephen remplit une petite malle de ce qui lui appartenait ; il mit dans un papier, sur une table, ce qu’il devait d’argent à M. Müller pour le loyer de sa chambre, puis il alla appeler le jardinier et le chargea de porter sa malle sur son cheval jusqu’à la ville.

Pour lui, il mit son costume de voyage, des guêtres, un pantalon de toile ; puis, armé d’un bâton, il sortit de sa chambre.

— Adieu, dit-il, asile de paix et de bonheur ! adieu jusqu’au jour où je reviendrai demander le prix de mes efforts et de mon courage.

Il descendit au jardin. À ce moment, le soleil se levait.

Le ciel, à l’orient, était clair et bleuâtre : des nuages légers et vaporeux, rosés et couleur de feu, glissaient mollement sur l’azur ; le reste du ciel était encore sombre, et on y voyait les étoiles, qui n’avaient plus qu’une lueur blanche.

Puis les troncs des tilleuls reçurent obliquement une teinte rosée.

Puis l’orient parut tout en feu ; puis la moitié du ciel devint rose.

Puis on vit les nuages ressortir en bandes de feu sur le bleu du ciel.

Et les arbres, selon qu’ils étaient plus ou moins exposés aux rayons, parurent les uns noirs, les autres verts, ou roses ou dorés.

L’herbe était couverte de rosée, de rosée chatoyante comme des diamants, tour à tour blanche, verte, couleur de feu, des diamants, des rubis, des émeraudes, des opales.

On n’entendait rien que le bourdonnement des abeilles qui se plongeaient dans le calice des fleurs.

Il y a à cette heure quelque chose qui renouvelle et rajeunit le sang dans les veines, quelque chose qui donne la vigueur au corps et à l’âme.

Et Stephen d’ailleurs ne voyait plus, comme la veille, la vie cruellement mutilée.

Il se sentait plein de force et de courage, comme le batelier qui, battu par le vent et par les vagues, aperçoit la rive verte et se sent assez de vigueur pour l’atteindre ; et l’émotion qu’il ressentait n’avait rien de triste : il commençait un voyage fatigant, mais dont le but était un lieu de délices, et, il se sentait assez de force pour marcher vite.

Et il n’y avait plus en lui le découragement produit par l’incertitude, qui élève sur la route un mur d’airain. La seule douleur qui puisse abattre une âme énergique est celle que l’on ne peut saisir corps à corps pour lutter avec elle ; mais, plein de courage et de confiance, il s’apprêtait à un combat dont l’issue ne lui paraissait pas douteuse.

Et il faut aussi rechercher l’origine de ce calme dans des causes physiques. Quand il avait vu par les paroles de Magdeleine un rayon au milieu de la nuit, une voile blanche sur la mer déserte, il pensa qu’il avait mieux à faire que de pleurer : il prit quelque nourriture et dormit d’un profond sommeil ; ajoutez à cela l’air frais et vivifiant du matin et les premiers rayons du soleil.

Cependant son cœur se serra en songeant que, le lendemain et le jour d’après, il ne verrait plus le jardin ni l’allée de tilleuls.

Il dit adieu à tout, chaque arbre, chaque fleur était pour lui un ami. Il grava son nom et celui de Magdeleine sur un tilleul ; il cueillit une branche de chèvrefeuille et une d’aubépine pour lui, puis fit un bouquet pour Magdeleine et le laissa sur l’herbe ; et, d’une voix qui partait du cœur, d’une voix profonde et qui emportait avec elle quelque chose de son âme, il dit adieu.

Et il contempla la fenêtre de Magdeleine. Elle avait aussi succombé à la fatigue produite par des émotions trop violentes : elle dormait. Les vitres de la fenêtre brillaient comme du feu de la réflexion du soleil. Il dit encore adieu ; il attendit un peu : la fenêtre allait s’ouvrir.

Mais non, ils n’auraient pu qu’échanger un regard : les adieux de la veille étaient plus complets ; il valait mieux que leur impression fût la dernière. Il dit encore adieu et essuya une larme qui roulait dans ses yeux.

Il partit d’un pas rapide, puis s’arrêta quand on ne voyait presque plus la maison, et, après quelques instants encore, il dit : « Adieu ! adieu ! » et marcha rapidement. Son cœur était serré ; mais l’agitation de la marche, la belle nature, le ciel bleu et, plus que tout autre chose, l’espérance le soutenaient.

Et, de temps à autre il respirait le parfum des fleurs qu’il avait emportées ; il lui semblait respirer l’haleine de sa bien-aimée.

Ou il s’asseyait sur un tertre de gazon et lisait quelqu’une des lettres de Magdeleine, et il songeait à l’avenir, à ce qu’il allait faire et à l’accueil qu’il recevrait de son père et de ses amis.

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