LV

Les vieux ormeaux n’ont plus leurs têtes ondoyantes ;

Autour de leurs troncs noirs le vent froid de l’hiver

Fait tomber et rouler leurs feuilles jaunissantes ;

Leurs branchages séchés s’entre-choquent dans l’air.

Et seule sur la branche nue,

Où le givre brille au matin,

La mésange bleuâtre, à peine suspendue,

Fait entendre sa voix aiguë.

Par une sombre matinée du commencement de l’hiver, les nuages étaient d’un gris sale, l’herbe de la terre était couverte d’une épaisse gelée blanche, et, sensibles à ses premiers froids, les gens qui passaient dans la rue étaient soigneusement enveloppés et marchaient à petits pas pressés.

Cependant, à une belle maison de la ville de ***, une fenêtre était ouverte et, à cette fenêtre, enveloppée de fourrures, on voyait une jeune fille blanche et blonde, dont les regards étaient attentivement fixés sur la route. La pauvre enfant ! son nez si bien dessiné était outrageusement rougi par le froid, qui arrachait des larmes à ses yeux, d’un bleu clair et transparent. Les passants la regardaient, mais le froid les faisait bientôt se renfermer dans leur manteau.

De temps à autre, la jeune fille se retournait dans l’appartement et parlait avec vivacité.

— Allons donc, Hanry, disait-elle, et vous, Lisbeth, vous n’avancez pas.

— Il est plus de onze heures, mademoiselle, dit Lisbeth ; de grâce, fermez la fenêtre, vous allez à coup sûr vous enrhumer ; voilà deux heures que vous y êtes par un froid à faire tomber les pieds et les mains, et vous n’êtes pas accoutumée à l’air froid du matin.

— Laissez, laissez, Lisbeth, et dépêchez. Mettez là cette toilette, entre ces deux fenêtres. Et avez-vous déployé les robes qui étaient dans les-malles arrivées hier au soir ? Avez-vous mis le linge en ordre ? Avez-vous bassiné le lit ? Hanry, sur la cheminée, il faut des épingles ; Lisbeth, sur la toilette, du savon, de la pâte d’amandes, de l’eau de Cologne, de la pommade, des brosses et des peignes, et jeter du bois au feu, encore, encore.

À ce moment elle se pencha en dehors de la fenêtre ; elle rentra précipitamment.

— Vite, vite, Hanry, Lisbeth, j’entends une voiture. Hanry, un dernier coup de balai et disparaissez, allez en bas ouvrir la porte ; j’espère que tout est propre et en ordre.

Et on entendait se rapprocher le bruit de la voiture, le fouet du postillon et les sonnettes des chevaux, puis la voiture, et par la portière sortit la tête de Magdeleine.

Suzanne sautait de joie.

— La voilà ! la voilà !

Le postillon faisait claquer son fouet pour annoncer son arrivée ; bientôt la voiture fit trembler les vitres en entrant sous la porte.

Suzanne était déjà en bas ; Magdeleine s’élança dans ses bras ; les deux jolies filles s’embrassèrent.

— Viens, viens, pauvre Magdeleine, dit Suzanne, tu as bien froid.

Elle l’entraîna dans sa chambre sans s’occuper de M. Müller, qui veillait au débarquement de ses livres ; puis elle l’aida à se déshabiller et la fit mettre dans un lit bien chaud.

— Couche-toi pendant quelques heures ; tu seras bien réchauffée et de plus fraîche et reposée pour que mon père et ma mère te voient belle.

Quand Magdeleine fut couchée, elle lui dit :

— Comment trouves-tu ta chambre ?

Magdeleine porta autour de la chambre un regard d’admiration, ce luxe lui était inconnu. Toute la chambre, le haut et les parois étaient tendus de soie cramoisie avec des ganses d’argent, les rideaux des fenêtres étaient en soie blanche et cramoisie avec une frange d’argent. Les meubles étaient blancs avec des galons d’argent ; il y avait un beau piano avec une énorme quantité de musique, et rien ne manquait de ces petits détails commodes qu’une femme seule peut prévoir.

— Charmante ! tu t’es bien occupée de moi, ma Suzanne.

Et alors se passèrent ces douces et intéressantes causeries de jeunes filles.

— Dans un mois, dit Suzanne, je vais me marier ; mon promis est beau, le plus élégant de la ville, et extrêmement riche. Si tu savais les beaux chevaux qu’il a achetés et la belle calèche, et la maison qu’il a fait meubler pour moi ; c’est admirable.

Magdeleine aussi fit ses confidences : elle n’avait rien de bien magnifique à dire.

— Stephen espère avoir bientôt une petite place ; nous vivrons ignorés et tranquilles dans la petite maison de mon père ; nous serons pauvres, mais heureux.

— Il m’a déjà fait voir les cadeaux de noce, dit Suzanne : des colliers en perles, des bracelets, des bagues et des pendants d’oreilles arrivés de France, et un châle de cachemire blanc et un noir, et un troisième rouge ; c’est la plus belle corbeille qu’on ait jamais vue.

— Ce pauvre Stephen travaille bien pour moi, reprit Magdeleine, et j’attends le moment où je pourrai par mes caresses et mon amour effacer les fatigues et l’ennui de la journée.

— Magdeleine, dit Suzanne, c’est une triste dot que l’amour quand il est seul ; renonceras-tu donc à voir le monde, aux bals, aux soirées, aux plaisirs que tu ne connais pas encore ?

Magdeleine était un peu embarrassée ; elle ne savait comment tenir son mariage à la hauteur de celui de Suzanne : elle changea de conversation.

À peine trois jours s’étaient écoulés depuis l’arrivée de Magdeleine, qu’elles avaient déjà assisté à un bal magnifique. Les deux amies avaient attiré tous les yeux, autant par leur beauté personnelle que par le contraste que l’une faisait à l’autre.

— Eh bien, Magdeleine ? lui dit Suzanne en rentrant.

— C’est bien beau, dit Magdeleine.

La danse, la musique, lui avaient donné la fièvre ; elle eut de la peine à s’endormir ; il lui sembla qu’elle avait passé la nuit dans un palais enchanté.

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