LIV Stephen à Magdeleine

Hier, je suis allé me promener vers la fin du jour au bord de la rivière ; le feuillage des peupliers frissonnait de lui-même sans que l’on sentit le vent ; tout paraissait calme et dans l’attente, l’air était pesant, de gros nuages noirs marchaient lentement, l’air pouvait à peine les soutenir ; on entendait au loin un roulement sourd, et des éclairs fendaient le ciel ; les hirondelles rasaient en criant l’eau, qui paraissait d’un noir violet ; puis le vent s’élança, enlevant en tourbillons les feuilles et la poussière ; les peupliers noirs se courbaient ; les hirondelles, emportées par le vent, ne pouvaient lui résister. Comme je contemplais ce spectacle, tout à coup le vent s’abaissa et d’un nuage déchiré l’eau tomba par torrents.

Je me réfugiai en courant dans la cabane de Fritz ; – je dois t’avoir parlé de Fritz ; – il n’y était pas, je ne vis que sa femme entourée de petits enfants ; ordinairement ils courent en sautant à ma rencontre, et en signe de joie m’écrasent les pieds et déchirent mon habit : mais alors ils étaient à genoux autour de leurmère ; leurs visages à tous avaient une expression de solennité d’autant plus forte qu’il faisait presque nuit.

— Il est tard, me dit Louisa, et Fritz n’est pas rentré ; nous prions le bon Dieu pour qu’il ne lui arrive pas d’accident par cet affreux temps, et qu’il trouve un abri.

C’est un bonheur, un grand bonheur qu’une croyance ferme dans l’inquiétude, Magdeleine ; la mienne est quelquefois ébranlée par le raisonnement, et j’en suis fâché ; aussi jamais d’un sourire amer, jamais d’une parole d’incrédulité je ne froisse, je n’ébranle la croyance de personne : c’est un bonheur que je tuerais, un appui que je renverserais.

Je m’approchai et je me mis à prier avec eux.

Puis je m’avançai sur la porte.

— Les nuages courent vite et ils sont plus légers, dis-je ; le vent balaye le ciel, l’air est maintenant frais, l’orage est fini.

— Enfants, dit Louisa, allez chercher le pantalon et la veste des dimanches de votre père, pour qu’il puisse changer en rentrant.

Et elle-même elle tira une grosse chemise de toile bien blanche et elle la fit chauffer devant le feu.

— Louisa, dis-je, je vais mettre le couvert pour qu’il puisse manger la soupe chaude en arrivant.

Quelques minutes après, Fritz entra ; elle lui sauta au cou, les enfants l’entourèrent et l’aidèrent à changer de vêtements.

Tout cela m’a empêché de dormir, Magdeleine ; l’aspect du bonheur m’a fait songer que je ne suis pas heureux. Toute la nuit, je voyais cette femme priant et interrogeant le ciel d’un regard inquiet et suppliant, ses caresses et celles de ses petits enfants ; Magdeleine, ils sont pauvres, mais ils sont bien heureux.

Nous aussi, Magdeleine, nous serons bien heureux ; encore quatre mois, et j’aurai cette place, et j’irai te demander à ton père ; et puis tu vas être plus près de moi ; je te verrai quelquefois et cela me donnera bien du courage et de la force.

Tu souffres, me dis-tu, d’une dent ; coquette, je veux que vous la fassiez arracher, j’en fais le sacrifice ; vous n’y pouvez pas tenir plus que moi.

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