LXIV

— Cet homme est fou, dit Suzanne après avoir lu la lettre de Stephen : il est fort heureux qu’il n’exige point de toi que tu aies des ailes et une auréole autour de la tête ; mais il y a encore l’avenir et l’espérance, et il me paraît organisé de telle sorte que je ne vois pas de folie qui ne puisse trouver place dans sa tête.

Magdeleine ne répondit pas ; elle ne trouvait rien dans son esprit pour justifier Stephen, d’autant qu’elle le trouvait fort exigeant, et comme elle ne se sentait pas tout à fait sans reproche relativement à la soirée où elle avait vu Stephen au théâtre, elle était naturellement portée à s’irriter contre quelqu’un qui précisait un blâme qu’elle pensait mériter, mais qu’elle se plaisait à laisser dans une sorte de vague.

Suzanne continua :

— À mon avis, la lettre est passablement impertinente, et peut-être M. Stephen est le seul qui ne se contenterait pas de t’avoir telle que tu es, sans vouloir t’imposer une perfection qui n’existe que dans son cerveau malade. Quoi ! Magdeleine, selon lui, ta vie doit être de le contempler continuellement, quelque laid qu’il soit, de faire en sorte de paraître aux autres laide et sotte ! Je m’étonne qu’il ne te conseille pas de t’arracher un œil et quelques dents et de te couper le nez. Il faut que M. Stephen se croie bien du mérite et de l’esprit pour prétendre remplacer pour une femme tous les hommages et tous les plaisirs de vanité.

— Tu l’accuses injustement, dit Magdeleine ; il n’a pas de vanité, et sa folie, si c’en est une, vient de son amour.

— Le ciel me préserve et toi aussi d’un amour semblable ! Il te mettra dans une cage de fer, Magdeleine ; il sera jaloux de ton amitié pour moi ; il nous séparera ; il te punira de n’être qu’une femme, fusses-tu la plus belle et la meilleure des femmes, car il lui faut une fée, ou une déesse, ou une sylphide. Je ne serais pas surprise de le voir un jour te faire une infidélité en faveur de la lune ou d’une hamadryade. Cet homme est fou ; je te le jure sur ta tête et sur la mienne, je ne te livrerai pas ainsi aux bras d’un fou. Au lieu de t’entourer de plaisir et de bonheur, il te retranche tout, il élève autour de toi un rempart de doutes et de soupçons ; et, si tu t’y soumets aujourd’hui, Magdeleine, quand ton amour, si réellement tu aimes un pareil homme, se sera affaibli, soit en voyant ton erreur, soit consumé par lui-même, alors l’un et l’autre vous gémirez du lien indissoluble qui vous unira ; vous vous haïrez, vous serez malheureux, non-seulement de votre malheur, mais encore de tout le bonheur idéal que votre crédulité vous avait fait rêver.

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