LXXIII

C’était un beau jour de printemps

La prairie était émaillée,

Les amandiers étaient tout blancs

À travers la jeune feuillée

Se glissaient les rayons ardents

La prairie était émaillée,

Les amandiers étaient tout blancs.

— A-t-on goudronné le petit bateau ? demanda Stephen.

— Oui, monsieur, répondit le jardinier.

— Il faut peindre aujourd’hui ces volets d’un vert sombre ; et vous, plantez autour de la maison la vigne, la clématite, le chèvrefeuille, du jasmin et des rosiers de Bengale, les plus hauts que vous pourrez, pour qu’ils tapissent le devant de la maison.

— Monsieur, ils sont un peu chers.

— C’est égal.

C’est la première fois que l’on voit Stephen parler ainsi, et cela a besoin d’explication. À l’ouverture du testament de son parent, on avait trouvé la donation d’un contrat de rente de deux mille florins et d’une somme de quinze mille florins en argent.

Stephen était riche et avait employé une partie de son argent à l’achat d’une petite maison, et il s’occupait de la rendre exactement conforme aux projets qu’il avait faits avec Magdeleine dans les premiers jours de leur amour.

La maison était sur un coteau bien vert ; au bas du coteau coulait la rivière, il avait fait arranger la chambre nuptiale et celle de M. Müller.

Une seule chose manquait tristement à l’exécution du projet, c’était la chambre destinée à Eugène.

Le mur était caché par une haie d’aubépine et d’églantiers ; du côté de la rivière, le jardin n’était borné que par la haie, et tout cela commençait à feuillir. Il n’avait oublié ni le jardin fleuriste pour M. Müller, ni surtout le petit banc de gazon à deux places, avec le berceau de lilas, de seringat, de chèvrefeuille, de rosiers et de jasmin pour Magdeleine et pour lui, ni le petit vivier et son treillage à l’entour, ni les pois de senteur avec leurs fleurs qui ressemblent à des papillons. Autour des tilleuls, de l’autre côté de la rivière, on voyait la maison de Fritz ; c’était un bon voisin, et il avait aidé Stephen dans ses dispositions. Cette petite propriété était vraiment un lieu enchanté ; l’air pur de la rivière donnait à la végétation une admirable vigueur ; la nature était riante et joyeuse.

— Ô mon Dieu ! disait Stephen, je te remercie ; tu ne m’as pas abandonné, quoique je t’aie maudit plus d’une fois.

Il savait que Magdeleine aimait le bleu ; il fit tendre en bleu leur chambre à tous deux.

Et son cœur était doucement serré dans cette chambre qu’elle devait habiter avec lui.

— Là, elle posera ses pieds ; sur cette chaise elle mettra ses vêtements le soir ; devant cette glace elle s’ajustera le matin. Ce lit est pour elle et pour moi.

Quand, après quelques jours, tout fut bien arrangé comme il le voulait, il se mit en route pour aller trouver Magdeleine, lui faire part de tout ce qui lui était arrivé d’heureux et la demander à son père. Plusieurs jours auparavant, sous un nom supposé, il avait fait louer la petite chambre chez M. Müller.

Il cueillit des wergiss-mein-nicht au bord de la rivière et de l’aubépine dans son jardin. Ces deux fleurs avaient pour elle et pour lui bien des souvenirs.

Et il mit le costume qu’il avait le jour de son départ, le pantalon de toile, les guêtres et un gros bâton à la main.

Chemin faisant, il était plus d’à moitié fou de bonheur.

Le jour était magnifique ; le beau soleil pénétrait le feuillage des arbres.

Et comme il approchait :

— Ô mon Dieu ! disait-il, quand je vais entrer dans cette maison, je vais mourir ; quand je vais revoir ces tilleuls sous lesquels se sont envolées pour nous de si rapides journées, l’aubépine en fleur dont je lui avais fait une couronne de fiancée !

» Aujourd’hui véritablement je lui donnerai une couronne de fiancée !

» Et cette petite chambre où j’ai reçu ses adieux.

» Notre nom gravé sur le tronc de ce vieux tilleul.

» L’herbe foulée sous ses pieds.

» L’air respiré par elle.

» Le parfum des fleurs que nous respirions ensemble. »

À ce moment, au détour d’un chemin, il vit les cimes des tilleuls.

Il cessa de respirer, la vie fut suspendue en lui, il fut obligé de s’arrêter.

Puis, sans parler, les nerfs agités convulsivement, tout tremblant d’émotion, il marcha et entra dans la maison.

Et d’un bond arriva au jardin…

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