LXXII Une noce et les conséquences d’icelle

Qu’elle est belle, la fiancée.
Comme sa paupière est baissée.
Comme son front sous le voile rougit !

Le matin, Suzanne avait été menée à l’église par son promis. Jamais on n’avait vu un plus riche ni un plus beau mariage ; la parure de la mariée avait excité l’admiration et l’envie de toutes les femmes ; les pauvres, auxquels on jeta de l’argent, frappaient le ciel de leurs bénédictions. Le repas, le bal, tout fut magnifique et enivrant.

Involontairement Magdeleine pensa à la possibilité de son mariage avec Edward. Il ne l’avait pas quittée de la journée, n’avait dansé qu’avec elle, et Suzanne lui avait dit, le soir :

« Magdeleine, une chose manque à mon bonheur, c’est de te voir aussi heureuse que moi ; écoute les conseils d’une mariée, tu sais qu’il porte bonheur… épouse Edward. »

La nuit, Magdeleine ne put dormir. Suzanne n’était plus une jeune fille, d’autres soins allaient s’emparer de son cœur ; son amitié ne pourrait plus suffire à Magdeleine ; elle allait tristement retourner à la campagne avec son père ; d’autre part, on ne laissait plus arriver jusqu’à elle aucune lettre de Stephen, et tout la portait à croire que la résolution qu’il avait annoncée était immuable. Suzanne lui avait fait voir ce qu’il y avait d’exagéré dans Stephen, et Magdeleine, qui, par elle-même, n’avait guère d’exaltation que celle qu’il lui communiquait, avait déjà perdu une sorte d’admiration pour son caractère, et n’avait plus rien qui l’attachât à lui que la crainte de le rendre malheureux, et cette sorte de jouissance qu’éprouvent les âmes nobles à faire un sacrifice. Ainsi, si Stephen s’était présenté alors, et que M. Müller y eût consenti, il l’eût nécessairement épousée, quelque triste que fût devenu pour elle l’aspect de la médiocrité.

Mais, à quelque temps de là, Suzanne prit une nouvelle femme de chambre. Edward la reconnut chez son ami et la fit parler : c’était cette jolie Marie qui avait donné de si vifs désirs à Stephen.

Autant les femmes sont discrètes sur l’amour qu’elles ont couronné, autant elles aiment à parler de celui qu’elles n’ont pas partagé. C’est une vertu facile dont on aime à se parer ; d’ailleurs, la petite avait été un peu piquée de la maladresse de Stephen, non qu’elle l’aimât, mais une sorte de caprice la portait vers lui, et elle narra comme quoi il avait été fort amoureux d’elle et lui avait fait longtemps la cour.

Ce fut un coup mortel pour Stephen. Suzanne profita de cet incident et en tira tout le parti possible. Magdeleine vit alors que Stephen pouvait vivre sans elle, et qu’il avait d’autres amours pour son cœur. Elle était humiliée surtout de la rivale qu’elle avait eue, et un jour, cédant aux sollicitations de Suzanne et de son père, elle donna son consentement à son union avec Edward, se persuadant que c’était par dépit et pour se venger de Stephen. Mais, quoique ce sentiment fût pour quelque chose dans sa détermination, il n’était pas seul. Edward était plus pourvu que Stephen de tous les avantages extérieurs ; son esprit était plus léger et plus gracieux. Stephen n’avait pour lui que sa nature poétique, mais son amour pour Marie tuait dans l’esprit de Magdeleine toute cette poésie, et d’ailleurs, à son insu, la fortune était pour elle devenue un besoin.

M. Müller et sa fille partirent pour leur maison. Il fut décidé que Suzanne et son mari, avec Edward, iraient passer avec eux les jours qui précéderaient le mariage.

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