LXXXVIII

Un jour, Stephen se leva, et, sans rien répondre aux questions de la vieille femme, qui le regardait, il s’habilla et se mit en route pour sa petite maison au bord de la rivière.

Le soleil était ardent.

Le jardin était devenu bien beau. On ne voyait plus la façade de la maison, tant les grands églantiers avaient poussé de feuilles et de fleurs, tant la vigne vierge et le houblon avaient étendu leur sombre et large feuillage.

Il parcourut tout silencieusement, de temps à autre s’arrêtant aux endroits qui réveillaient les souvenirs les plus cuisants. Il arriva au vivier : « Ce treillage, dit-il, elle l’avait demandé pour que nos enfants ne tombassent pas dans l’eau. Je n’aurai jamais d’enfants, moi. »

Et du pied il brisa et renversa le treillage.

Il arriva à la petite tonnelle : « Ce petit banc où il y avait deux places pour elle et pour moi, je n’y viendrai que seul maintenant ; ces beaux chèvrefeuilles et ces beaux églantiers, leurs guirlandes parfumées devaient ombrager sa tête et la mienne.

— Il n’y a pas besoin d’ombre pour moi tout seul.

Et il arracha les chèvrefeuilles et les églantiers, et les mit en pièces sous ses pieds.

Et avec un bâton il se mit à hacher l’aubépine en fleur de la haie qui entourait le jardin.

Il arriva aux tilleuls ; leur jeune feuillage s’était épaissi ; il enleva de l’écorce leur chiffre, à Magdeleine et à lui, qu’il y avait tracé pour rappeler d’autres lieux et d’autres jours.

Là était le jardin fleuriste destiné à M. Müller ; une belle planche de tulipes était en fleur, ainsi les renoncules et les anémones, et une belle collection de rosiers : la terre en un instant fut couverte de leurs débris.

Puis il entra dans la maison ; il trouva dans la chambre destinée à M. Müller des livres de science, d’horticulture, il les déchira.

Puis il monta à la chambre tapissée de bleu.

— C’était notre chambre !

Et involontairement il repassa dans son esprit tout le bonheur qu’il avait espéré.

Et, quand il pensa que tout cela était perdu pour lui, il entra en fureur et arracha et mit en lambeaux la tenture bleue de la chambre, et brisa un beau miroir destiné à Magdeleine.

Et, parcourant le reste de la maison, il détruisit tout ce qui avait été apporté pour elle.

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