CXXXVIII SOUS LES TILLEULS

Quelques jours se passèrent ainsi. Magdeleine était bien malheureuse : le baiser de Stephen brûlait sa bouche, et son cœur, et ses entrailles.

Épouse d’Edward, elle connaissait les plaisirs des sens ; mais elle ne savait pas tout ce que l’âme y ajoute de céleste.

La nuit, il n’y avait plus de sommeil pour elle ; les désirs la dévoraient ; elle se roulait en pleurant sur son lit, invoquant, contre le feu qui la brûlait, Dieu et la mémoire de son père.

Stephen, qui longtemps avait eu des maîtresses qui ne lui inspiraient pas d’amour, avait étudié froidement les femmes ; aussi s’apercevait-il, à la fatigue et à la pâleur du jour, du désespoir et des tourments de la nuit. Il excitait cette impression par des caresses qui ne pouvaient alarmer Magdeleine, ne voulant rien risquer et attendant qu’elle s’abandonnât tout à fait.

Il mettait son esprit à la torture pour comprendre comment elle pouvait garder tant de réserve avec lui ; enfin, il avisa que près de lui l’idée de ses devoirs et la crainte de succomber étaient assez fortes pour annuler son amour au moral et ses désirs au physique, et qu’ils ne reprenaient leur empire sur elle que lorsque, seule, elle croyait pouvoir s’y abandonner sans danger.

Un jour, il resta avec elle jusqu’au soir ; il parla avec éloquence, avec entraînement, et, la pressant sur son cœur, posa ses lèvres sur celles de Magdeleine.

— Oh ! Stephen, lui dit-elle, je vous en prie, laissez-moi ; allez-vous-en, je vous en supplie !

Stephen obéit.

Et alors, seule, elle se prit à pleurer, prononçant à voix basse le nom de Stephen, et couvrant de baisers l’arbre sur lequel il avait posé la main, le gazon sur lequel il avait marché.

— Oh ! Stephen, disait-elle, je t’aime, je t’aime, je t’adore !

Et elle tomba mourant sur l’herbe.

Stephen, qui avait escaladé le mur, était auprès d’elle ; il la reçut dans ses bras et la couvrit de baisers.

— Ô Stephen ! mon ange, grâce ! grâce ! aie pitié d’une pauvre femme qui n’a plus de force pour te résister !

» Oh ! ce serait lâche d’abuser de ma faiblesse ! je te haïrais, je te mépriserais… Laissez-moi, laissez-moi, homme vil ! Je vous hais, je vous méprise !…

» Non, non, grâce !

— Sois à moi, dit Stephen ; au milieu du monde, seuls tous les deux, que nous importe l’univers ?

Et il lui donnait les noms les plus tendres.

Et son éloquence et ses baisers vainquirent Magdeleine.

— À toi, Stephen, je suis à toi !

Et Stephen la prit dans ses bras, et, sous ces mêmes tilleuls où autrefois elle avait promis d’être à lui, elle tint sa promesse.

Stephen avait alors oublié ses projets de vengeance ? il mourait dans les bras de Magdeleine.

Mais elle, des mots s’échappèrent de ses lèvres avec ses baisers : « Mon âme ! ma vie ! » Stephen fut glacé, il la repoussa avec fureur ; mais elle était presque évanouie et ne s’en aperçut pas.

Malédiction ! ces mots étaient ceux que Stephen avait entendus à travers la cloison le jour du mariage de Magdeleine.

Et la pauvre femme, quand, revenant à elle, elle chercha le sein de Stephen pour y appuyer sa tête et y répandre les larmes qui l’oppressaient, elle ne vit qu’une horrible figure avec ce ricanement satanique qui l’avait déjà tant effrayée.

— Stephen, s’écria-t-elle, qu’as-tu ? Calme ce délire, tu me fais peur.

— Ah ! ah ! dit Stephen, femme deux fois adultère, car tu étais ma fiancée à moi, as-tu donc été assez folle pour croire que je voulais un baiser sur ta bouche, salie par les baisers d’un autres ; que je voulais presser dans mes bras ton corps, souillé par d’infâmes caresses ?

» Non ! non ! mon amour était trop pur et trop céleste ; il n’était pas fait pour une femme qui s’est honteusement prostituée et qui a vendu son corps et ses caresses à un mari riche.

» Il t’a achetée, tu es à lui ; je n’achetais ton amour que par de l’amour et d’horribles souffrances, et le don de toute ma vie ; tu m’as repoussé comme un chien. Tu t’es mise à l’enchère ; il t’a achetée avec de l’argent, une voiture, des châles, et tu t’es vendue !

» Va voir comme je te l’ai fait, ton maître, ton propriétaire : il n’avait trahi que l’amitié, je l’ai tué ; mais toi, tu as trahi l’amour, je ne te tuerai pas, tu souffriras plus que lui.

» Ah ! ah ! tu avais dit : « Il est bon, il m’aime, je puis déchirer son âme, il pleurera, il sera malheureux, et voilà tout. »

» Mais il y avait encore en moi de l’énergie, et je suis vengé !

Il disparut sous les tilleuls et passa par-dessus la muraille.

Magdeleine était tombée par terre évanouie.

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