LX Magdeleine à Stephen

Je t’ai donc vu, mon Stephen ! et tu es maintenant seul et triste, rentré dans ta chambre ; je t’envoie des souvenirs d’hier qui prolongeront de quelques instants notre bonheur.

Je ne t’exprimerai pas combien j’ai été heureuse ! J’étais près de toi, je te regardais, je t’écoutais. Ma tante, sans aucun doute, a été instruite par mon père ; sans cela, par des phrases générales eût-elle cherché à nous détourner de notre but, nous eût-elle montré l’amour comme une fièvre ou une folie passagère ?

Mais toi, comme l’amour te rendait éloquent ! avec quelle force tu soutenais ses droits, mon Stephen ! Je recueillais toutes tes paroles, je les gravais dans mon cœur, elles ne s’en effaceront jamais ; je te vois encore en partant dire : « J’ai mon but devant les yeux, j’y arriverai, car je me sens fort, et j’y marcherai jusqu’à ce que je tombe. »

En arrivant chez ma tante, en montant chez elle, mon émotion était extrême ; mais, arrivée à la porte, il me prit une palpitation de cœur si violente, que je craignis de me trouver mal ; je croisai mes bras sur ma poitrine pour contenir mon cœur, qui semblait vouloir s’en échapper. Je n’entrai que lorsque je me crus assez calme pour me contenir à ta vue ; pourtant j’étais bien tremblante ; je fus longtemps avant d’oser fixer mes regards sur toi. Tu es changé, tu es plus grand, plus fort ; tes traits ont un caractère bien plus prononcé. Nous n’osions pas nous parler ; mais je t’entendais, je te comprenais si bien ! et lorsque tu as parlé de ton père, de ton isolement, que j’ai eu de peine à retenir mes larmes ! Stephen est seul, il est malheureux. Ô mon Dieu ! oh ! si je puis un jour te rendre au bonheur, consacrer ma vie, l’employer à te rendre heureux, être ta compagne, te rendre une famille, car ma famille sera la tienne, mes amis seront les tiens ; tu verras autour de toi des personnes heureuses de te voir ; moi, je ne te quitterai plus, et tous deux ensemble, au milieu de nos enfants, entourés de ma Suzanne, et de notre frère Eugène… Stephen, quand tu te rappelleras que tu as été seul, isolé, malheureux, ce ne sera plus qu’un souvenir qui donnera plus de prix à notre bonheur. Espérons, mon ami, mon Stephen, espérons tout du ciel. Hier, quand tu sortis avec la lettre que j’avais jetée dans ton chapeau, quand ma tante te reconduisit, des ordres à donner la retinrent quelques instants dans le salon. Je me trouvai seule, mon sang s’arrêta, mon cœur ne battait plus que faiblement ; j’allai m’asseoir à la place que tu venais de quitter ; je retenais ma respiration pour tâcher d’entendre encore le son de ta voix ou le bruit de tes pas. Oh ! que j’aurais voulu pouvoir te rappeler, presser tes mains, te jurer de t’aimer toute ma vie ! que de choses j’avais à te dire ! Les larmes tombaient de mes yeux et inondaient mes joues sans que je m’en aperçusse. Lorsqu’en regardant cette fleur que tu avais donnée à ma tante et que je n’avais osé lui demander, quelque envie qu’elle me fît, je vis ma figure dans la glace, je me hâtai d’essuyer mes yeux, de poser mes lèvres sur la fleur, et je dérobai une branche de feuilles, que je cachai dans mon sein.

Que cette entrevue si courte et si contrainte m’a rendue heureuse ! combien je désirerais te voir souvent de même ! Et le soir encore au théâtre ; mais tu y es venu bien tard.

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