LXI Pourquoi Stephen était arrivé tard au théâtre

En jetant une lettre dans son chapeau, Magdeleine lui avait glissé à l’oreille : « Lis tout de suite. »

En sortant, Stephen rencontra dans la rue un homme qui fumait ; il tira un papier de sa poche, l’alluma et lut à la lueur de ce papier : « Nous allons entendre l’opéra, Suzanne, ses parents et mon père et moi ; viens, nous nous y verrons quelques instants. »

Stephen fouilla dans ses poches et les retourna ; il fallait un florin pour les moindres places du théâtre, il ne l’avait pas ; il songea à l’argent d’Edward ; mais il s’aperçut que le papier qu’il avait brûlé pour lire la lettre était précisément le bon sur la poste.

Il chercha sur lui, et ses yeux s’arrêtèrent sur la bague de Magdeleine : cette bague était en or et paraissait avoir quelque valeur, il se souvint qu’il y avait dans la ville une vieille femme qui prêtait sur gages ; il y avait quelque chose qui lui serrait le cœur à penser qu’il allait se séparer de cette petite bague.

Les cheveux de Magdeleine, un don de son amour, une partie d’elle allait passer aux mains d’une étrangère, pour de l’argent !

Mais il songea aussi que, si Magdeleine ne le voyait pas au théâtre, elle pourrait craindre un accident ou soupçonner de l’indifférence ; la vieille femme lui donna le florin dont il avait besoin.

De ce jour Stephen commença à mener une vie fatigante : trois fois par semaine Magdeleine allait au spectacle ; Stephen tâchait de quitter le collége de bonne heure et faisait en courant les trois lieues qui le séparaient d’elle ; il ne pouvait rentrer que fort avant dans la nuit, et jusqu’au matin il n’avait que quelques heures pour dormir.

De plus, comme ses finances ne pouvaient lui permettre la moindre dépense extraordinaire, le jour où il allait au théâtre il ne dînait pas, et les autres jours il veillait pour copier des écritures qui lui rapportaient un peu d’argent ; aussi était-il devenu maigre et hâve ; mais chacune de ces privations était pour lui un bonheur ; il marchait à son but, il l’avait devant les yeux et le voyait approcher rapidement.

Un jour, il alla chez la tante de Magdeleine.

— Je donne une soirée dans une semaine, lui dit-elle, j’aurai beaucoup de monde ; y viendrez-vous ?

Stephen accepta l’invitation avec joie, car Magdeleine ne pouvait manquer d’y être.

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