XI Où l’auteur prend momentanément la parole

De ses cheveux le brillant émail noir
Retombait sur son cou ; sous sa longue paupière
Son œil réfléchissait le bel azur des cieux.

Il ne serait pas mal de tracer ici le portrait de Magdeleine ; mais deux choses nous arrêtent.

Nous avons lu beaucoup de livres, et conséquemment beaucoup de portraits de femmes, et nous sommes resté persuadé qu’à moins d’être douanier et d’avoir une longue habitude du signalement, il est impossible d’y rien comprendre, à cause que la beauté n’est pas dans un nez grec ou romain, dans des cheveux noirs, dans des yeux bleus, ni encore dans l’harmonie des traits, à moins qu’il ne vous plaise vous contenter de la beauté des statues, mais dans quelque chose de presque divin, dans un reflet de l’âme qui colore la physionomie : d’où nous tirons la conséquence que la beauté, qui est relative comme tout ce qui existe, ce que nous n’avons pas besoin de démontrer, attendu que tout le monde est d’accord à ce sujet, est pour nous l’accord de l’âme que nous soupçonnons avec notre âme à nous.

Ce que nous ne mettons en avant qu’avec une grande timidité, à cause que beaucoup de gens en sont venus à nier l’existence de l’âme, parce que, n’ayant pas l’habitude de s’en servir, ils la laissent en eux se rouiller, se rétrécir et se dessécher au point de ne plus la sentir ; toutes réserves étant faites par nous d’établir plus tard ce que nous entendons par l’âme si nous en trouvons l’occasion.

Nous avons encore à avertir le lecteur que ce que nous venons de dire est purement et simplement notre opinion personnelle, à laquelle personne n’est obligé de se conformer.

La seconde raison qui nous empêche de faire le portrait de Magdeleine est celle-ci :

Il nous advint un jour de prier un de nos amis de peindre sous notre dictée un portrait de femme, et, prenant un livre dont nous ne nous soucions pas de nommer l’auteur, nous lûmes :

« Elle avait un front d’ivoire, des yeux de saphir, des sourcils et des cheveux d’ébène, une bouche de corail, des dents de perles, un cou de cygne. »

Quand mon ami eut fait de tout ceci un portrait bien littéral, il se trouva que l’image était une assez plaisante caricature, un monceau de pierres fines, de bois des îles, avec un long cou blanc, tortueux et emplumé sur le tout, ce qui peut donner des désirs à un voleur, mais nullement à un amoureux.

Et, outre ces deux raisons, il y en a une troisième qui n’est que le corollaire ou le résumé des deux autres : c’est que rien ne ressemble moins à un homme ou à une femme que son portrait.

C’est pourquoi nous engageons le lecteur à se contenter de l’épigraphe tirée d’une ballade allemande qui commence ce chapitre.

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