CII OÙ L’AUTEUR PREND LA PAROLE – DES JARDINS – DE LA GLOIRE – DU BONHEUR

J’ai vu les diamants aux vives étincelles
Briller dans les cheveux d’une femme à l’œil noir,
Comme l’étoile, au ciel sombre, le soir.
Et j’aime mieux les fleurs…
Les fleurs, quelles sont belles !
Quand aux feux pourprés du matin,
Brillantes de rosée, elles ouvrent leur sein !
Plus que la pourpre et l’or où le prince s’assoie
J’aime un long gazon vert qui s’étend, se déploie
Et semble, sous le vent rouler comme des flots.

Il y a trois choses qui démangent notre plume et dont il faut que nous disions quelques mots.

1° Il est assez bizarre de remarquer l’influence de la civilisation sur les jardins.

Nous ne pouvons sans une pénible sensation voir des fleurs tristement renfermées dans une chambre, loin du soleil et de ses caresses fécondes ; il semble voir de pauvres filles cloîtrées qui pâlissent et s’éteignent quand arrive l’âge de l’amour, rongées par les désirs, et la nuit donnant des baisers non rendus au crucifix, au christ d’ivoire, leur époux impuissant, à leur oreiller mouillé de leurs larmes brûlantes.

Pauvres fleurs ! le soleil se lève précédé d’un long reflet de pourpre, et elles ne s’épanouissent pas sous son premier baiser ; le vent souffle au dehors, mais il ne fait pas tressaillir leurs feuilles ; les abeilles bourdonnent contre les vitres, mais elles ne peuvent venir se rouler dans le calice des fleurs et dans la poussière féconde des étamines.

Nous aussi, nous avons, il faut l’avouer, des fleurs dans notre chambre ; aujourd’hui encore, on nous a apporté de beaux rosiers : demain, ils auront perdu un peu de leur éclat et de leur fraîcheur, car la douce rosée ne viendra pas les rafraîchir ; ce jardin dans notre chambre est un hôpital où les fleurs viennent pour être malades et mourir.

Une fleur seule n’est plus une fleur, il faut qu’elle se balance et nage dans un air pur, qu’elle ait le ciel au-dessus d’elle, et que ses racines ne soient pas emprisonnées dans un pot étroit.

S’il nous faut nous accuser d’avoir un jardin dans notre chambre, qu’il nous soit au moins permis de donner nos raisons, si toutefois une pareille faiblesse est excusable.

Habitué au grand air, au soleil, à l’herbe sous les pieds, nous sommes à la ville comme un pauvre exilé ; et, pour le proscrit, il y a du plaisir à revoir une image, quelque imparfaite qu’elle soit, de la patrie.

Ces fleurs dégénérées et moribondes sont pour nous comme, le portrait d’une amie absente ; tout le monde sait qu’un portrait peut ressembler par hasard à quelqu’un, mais jamais à celui qui a servi de modèle. Eh bien, quelque peu ressemblant que soit le portrait d’une maîtresse, ne lui parle-t-on pas, ne le baise-t-on pas, ne croit-on pas voir ses yeux regarder plus tendrement ?

Il en est de même de ces fleurs pâles : notre imagination leur rend l’air et le soleil.

Mais à quoi nous n’avons pas d’excuse, c’est qu’elles souffrent et qu’elles meurent.

Au moins n’avons-nous pas à nous accuser d’avoir un jardin sur notre fenêtre, jardin arrosé par l’eau de savon à la rose dont on s’est lavé les mains ; jardin qui a plus d’air mais pas plus de soleil que le jardin dans la chambre, et, par conséquent, produit des plantes maigres, étiolées et comme pulmoniques. C’est sur les fenêtres que l’on voit une prairie dans une assiette, des arbres à fruit dans un saladier et des arbres de haute futaie dans une marmite.

Comme tout à l’heure nous nous mettions à la fenêtre pour fumer et nous distraire, nous avons vu une voisine arrosant avec une cuiller à pot deux sapins qui sont sur sa croisée. Le sapin est un bois de construction ; on en fait des solives et des mâts de vaisseau de ligne. Pendant la chaleur du jour, elle rentre ses sapins et les met sur la cheminée entre la pendule et les flambeaux sous verre.

Un voisin a imaginé de s’approprier la cuvette de la gouttière, d’y mettre de la terre et d’y planter des pensées et des marguerites roses ; il a bouché le conduit pour empêcher l’eau des étages supérieurs d’inonder son jardin, ce qui cependant arrive quelques fois, et alors il injurie les coupables par la fenêtre et les appelle scélérats.

Dans certaines rues désertes et en province, les jardins sur les fenêtres ont encore plus d’importance ; c’est là que règnent la capucine, le haricot d’Espagne à fleurs rouges et surtout le cobæa.

Le cobæa a une grande influence sur les relations de voisinage.

Deux voisins, chacun d’un côté de la rue, plantent des cobæas ; celui dont la fenêtre est exposée au sud et à l’est voit les siens croître bien plus rapidement que ceux du voisin. Quand ils ont dépassé les tuteurs, le voisin du sud s’habille et va faire une visite au voisin du nord.

Dans cette première visite, on ne parle de rien, c’est-à-dire on s’entretient du temps, de M. le maire, on dit que le commerce va mal.

C’est un sujet de conversation qui ne manque pas plus que le temps, car, du plus loin que nous nous souvenions, on disait que le commerce allait mal, et nous sommes véhémentement tenté de croire que le commerce n’a jamais bien été.

Le voisin du nord rend la visite : on se livre un peu plus, on dit du mal des autres voisins, on parle de ses enfants, de la manière de faire des cornichons et de leur donner une belle couleur verte, de ce que l’on ferait si l’on était à la place des ministres et du gouvernement.

Le voisin du sud fait une deuxième visite, et là on aborde la question : il s’agit de cobæas, de tendre à frais communs une ficelle d’une fenêtre à l’autre pour qu’ils se rejoignent et fassent un arceau. Le voisin du sud fait les avances de la ficelle, et quand le voisin du nord rend la deuxième visite, il amène naturellement la conversation sur la ficelle.

Par exemple :

— On n’est pas dupe des ministres, ils laissent voir la ficelle. À propos de ficelle, croiriez-vous que l’épicier a eu l’infamie de me vendre trente sous la ficelle pour nos cobæas ! » Le voisin du nord s’exécute et paie ses quinze sous.

Et les cobæas se croisent et s’entrelaçent au grand plaisir des deux voisins jusqu’au jour où une charrette de paille un peu haut chargée rompt et entraîne la ficelle et les cobæas, et les voisins se plaignent du gouvernement.

Il ne nous reste à parler que d’une sorte de jardin, c’est le jardin à fresque, la végétation à la brosse.

Dans la rue Pigalle ou dans la rue Blanche, un propriétaire a cru ne pouvoir mieux terminer une terrasse que par un jardin, et il a fait peindre des arbres sur le mur par un peintre en bâtiment.

Malheureusement, ce feuillage de moellons a besoin deux fois par an d’une nouvelle couche de couleur, car la pluie le fait déteindre, décompose la couleur, enlève le jaune et laisse une feuillée bleu de ciel.

Nous ne parlerons pas des bouquets coupés et arrangés en cocarde.

Mais nous ne pouvons nous empêcher de dire deux mots des campagnes qui entourent Paris.

Le dimanche le Parisien fait une sortie, et, comme un conquérant, marche sur les légumes, coupe les arbres à fruit pour faire des cannes, court les champs en habit noir et en robe de soie, et va chercher la solitude dans les lieux où l’on trouve une société choisie.

Il fait trois lieues pour entrer dans un cabaret, et, au milieu des casseroles et de l’odeur des ragoûts, s’écrie : « Comment peut-on vivre dans les villes ? Ce n’est qu’à la campagne que l’on respire un air pur ! »

Il danse dans un salon de cent cinquante couverts, et, le soir, revient de la campagne sans avoir vu le ciel ni senti le vent dans ses cheveux.

2° Pour ce qui est de la gloire de notre temps, on ne croit plus à la postérité ; on ne veut pas de la gloire posthume et l’on escompte volontiers l’avenir. En France, où nous écrivons ceci, il y a environ trente-deux millions d’habitants, accordons-leur quatre-vingts ans d’existence.

S’ils occupent l’attention publique chacun pendant un temps égal, c’est-à-dire si la gloire est équitablement partagée entre eux, ils auront chacun une minute et un tiers de minute en toute leur vie à être l’objet de l’attention générale, à rester à la surface comme les grains dans le van.

Or, peu se contentent de cette petite partie, et il n’est sorte de ruses que l’on n’imagine pour dérober et s’approprier la part des autres, et beaucoup se trouvent déshérités. Admettez en effet, qu’un homme attire sur lui l’attention générale pendant huit jours, il se trouve que à peu près six mille cinq cents hommes sont dépouillés de leur part de gloire, et que l’on ne parlera jamais d’eux.

Ainsi on se tire cette gloire de tous côtés, on tâche d’en arracher au moins un lambeau, et beaucoup y laissent leurs ongles.

On se résigne à être ridicule pour être en vue ; tel littérateur s’illustre par une saleté proverbiale et porte un habit qui n’est battu que lorsque son impertinence lui attire des coups de bâton.

Plus d’un porte envie au criminel que l’on marque ou que l’on guillotine, car il usurpe une part immense de l’attention publique.

3° Nous voici à parler du bonheur.

On se plaint de toutes parts que le bonheur est difficile à atteindre.

Cependant il y a tant de choses dont beaucoup de gens font leur félicité, que, dans le nombre, on doit en trouver quelqu’une à sa taille.

Nous non plus, nous ne croyons pas au bonheur sans nuages : peut-être ne peut-il exister autrement ; peut-être le bonheur n’est-il qu’un contraste, mais il y a une foule de petits bonheurs qui suffisent pour parfumer la vie.

Les savants ont beaucoup de ces petits bonheurs.

Certes, le rabbin qui, après plusieurs années de recherches dans les livres saints et dans les ouvrages des anciens auteurs, est parvenu à découvrir que le buisson dans lequel Dieu parla à Moïse est l’aubépine, dut se trouver fort heureux pendant plus de vingt minutes,

Non moins que celui qui démontra que les tables de la loi que Dieu donna sur le mont Sinaï étaient faites de saphir.

Une femme peut être fort heureuse de l’effet d’une robe ou d’un nœud de ruban ;

Un homme, de trois parties gagnées aux échecs ou aux dominos sur un joueur reconnu fort.

Pour tous ces bonheurs-là, nous ne donnerions pas la branche de chèvrefeuille qui est sur notre table en ce moment.

D’aucuns aiment à regarder couler l’eau ou à pêcher à la ligne.

Ce sont deux bonheurs méprisés généralement et quelque peu tombés dans la dérision ; aussi nous voulons les réhabiliter.

Nous sommes véhémentement tenté de réunir ces deux bonheurs en un, parce que, pour nous, le résultat a toujours été le même, et que, pour notre part, rien ne prouve qu’il y ait des poissons dans la rivière.

Mais, selon les pêcheurs émérites, il y a un plaisir particulier, et que nous comprenons, à suivre des yeux la plume qui flotte sur l’eau, à sentir sa respiration s’arrêter à la première secousse que lui donne le poisson ; les secousses deviennent plus fortes, et, à leur nature, à la manière dont la plume est entraînée horizontalement ou perpendiculairement, d’un trait ou par saccades, on peut deviner quel est le poisson qui mord ; on tire la ligne, et la résistance se communique jusqu’à la main, et l’on amène le poisson se débattant et frétillant : c’est une victoire.

Pour nous, dans un séjour que nous fîmes sur les bords de la Marne, il y a quelques années, nous examinâmes sérieusement lequel paraîtrait le moins ridicule aux yeux du public, de pêcher à la ligne ou de regarder couler l’eau.

Car nous tenons singulièrement à ce petit bonheur.

Nous nous décidâmes pour la pêche à la ligne, et le matin, dès que le jour pénétrait à travers nos vitres sans rideaux, nous nous mettions en route avec trois grandes gaules de coudrier sur le dos et nous suivions le cours de la Marne jusqu’à ce qu’il se présentât un endroit convenable.

Un petit coin surtout avait pour nous des charmes particuliers. Il fallait, pour y parvenir, quitter la blouse et le pantalon de toile, et traverser la rivière en nageant, puis grimper péniblement à l’aide des racines et des branches pendantes. On arrivait la blouse et le pantalon toujours un peu mouillés, mais on était sous des saules épais, dans une petite île escarpée, verte comme une émeraude, sur un beau gazon tout semé de wergiss-mein-nicht et de grandes cloches blanches doucement odorantes qui s’entortillaient après les joncs.

Là nous tendions nos lignes et nous relisions quelques lettres bien chères, puis une douce rêverie s’emparait de nous, et, les yeux fixés sur l’eau, qui coulait en murmurant, penchant les joncs et les wergiss-mein-nicht, nous laissions danser notre imagination et nos idées vaguement dessinées au murmure de l’eau, au frissonnement des feuilles, harmonieuse et céleste musique, jusqu’au moment où le soleil disparaissait derrière les saules.

Il faut dire aussi que c’était un lieu enchanté : sur l’autre rive, la vue était bornée par de vieux saules, et plus près de l’eau par des buissons d’aubépine, et par-dessus l’aubépine s’élevaient de belles vignes sauvages dont les pampres rouges retombaient jusque dans l’eau : on ne voyait rien, on ne soupçonnait rien au delà ; seulement, de temps en temps, un martin-pêcheur au plumage vert et bleu et fauve s’élançait de sa retraite de verdure, et, déployant ses brillantes ailes, rasait l’eau, rapide comme le vent, et disparaissait dans les joncs.

C’était bien beau, avec le silence, l’oubli de la ville, et d’heure en heure le son lointain de l’horloge, et les abeilles qui bourdonnaient dans les fleurs, et un parfum d’eau et de verdure, et un air pur dont s’emplissaient les poumons avides.

Et plus que tout cela, de belles illusions, de naïves croyances et un espoir mort depuis. Adonc, quand le soleil ne lançait plus que de faibles et obliques rayons à travers le feuillage étroit des saules, nous relevions les lignes auxquelles il n’y avait pas de poisson, nous traversions la rivière, et, les gaules sur le dos, nous rentrions allègre et plein de bonnes et fraîches pensées.

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