XC Que l’inconséquence est une conséquence nécessaire des passions

Pendant trois jours, Stephen travailla, bêcha, replanta.

Il voulut rassembler autour de lui tous ses souvenirs, fit retendre la chambre bleue, remplacer les livres de M. Müller et refaire son jardin fleuriste.

Le treillage fut relevé autour du vivier, et lui-même refit le berceau au-dessus du petit banc.

Tout autour de lui devint comme si Magdeleine eût été sa femme et eût habité avec lui la petite maison.

Dès le matin, il se levait et allait s’asseoir sur le banc de verdure ; là, il tirait de son sein la seule lettre de Magdeleine qu’il eût clandestinement conservée, et, après l’avoir lue, restait la tête pendante sur la poitrine, le regard fixe et immobile.

Cependant le soleil montait à l’horizon. Il colorait d’un reflet jaune la rivière qui coulait au bas du coteau.

Puis, arrivé au zénith, il semblait dévorer la terre.

Puis, dans des flocons de feu et de pourpre, il se couchait.

Et Stephen n’avait pas fait un seul mouvement de tout le jour.

Alors, la voix retentissante de Fritz l’appelait pour dîner ; il se levait et lentement descendait à la rivière, où il trouvait le bateau de Fritz.

Et le soir, seul, par les belles nuits calmes, ou souvent encore par ces vents tourbillonnants qui précèdent l’orage et balancent l’eau en larges lames, il prenait le bateau de Fritz et allait errer sur la rivière, et il chantait les airs qu’il avait autrefois entendu chanter à Magdeleine, et cette chanson de Gœthe qu’elle lui faisait répéter souvent :

Ma richesse, c’est la feuillée,

Un ciel d’azur, de verts tapis, etc.

Et alors, pour quelques instants, il revivait de sa vie passée, respirait le même air et retrouvait les mêmes sensations, et restait, n’osant plus ni parler, ni remuer, ni respirer, dans la crainte de rompre le charme et de retomber du ciel, où l’avaient emporté ses souvenirs, sur la terre dure, où se brisait cette dernière illusion.

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