LXXVIII Stephen à Magdeleine

Je m’étais plu à préparer notre demeure, Magdeleine, cette demeure où tu devais apporter le bonheur et la douce paix : j’ai de hauts arbres dont la verdure balance l’ombre sur ma tête, j’ai des gazons verts, un air pur et un beau soleil. Tout cela pour toi.

À l’ombre des arbres j’ai marqué ta place, et sur la pelouse j’ai arrangé un petit banc de verdure pour nous deux, j’ai rassemblé dans ma pauvre demeure tout ce qui peut plaire à tes yeux : tu m’abandonnes, et tout cela est mort et flétri.

Magdeleine, je ne suis rien sans toi, tu es mon âme et ma vie ; toute ma force et toute mon énergie, c’est toi, et tu m’abandonnes ! Tu me laisses corps sans âme, tu me laisses faible, souffrant et découragé de la vie et incrédule au bonheur, toi qui m’avais promis de couronner ma vie de fleurs, de veiller sur mes jours comme un ange du ciel, car partout où ton regard d’amour pourrait m’atteindre je serais fort et courageux ; ton amour a toujours été pour moi une manne céleste, une vivifiante nourriture. Aujourd’hui je suis abattu et languissant : ma main s’étend pour chercher ta main, et tu la retires ; mes yeux, rouges des larmes de la nuit, cherchent tes yeux, et tu les détournes avec dédain ; ma voix suppliante te demande un mot d’amour et de consolation, et ta voix est muette ou ne trouve que des paroles qui tuent. Avec toi, Magdeleine, j’aurais été bon, grand et généreux ; sans toi, je ne suis rien, rien qu’un corps lourd et un cœur de pierre.

D’un souffle tu as enlevé tout ce qu’il y avait en moi de beau et d’honnête. Magdeleine ! Magdeleine ! ne crains-tu pas que ma voix ne te poursuive le jour et la nuit et jusque dans les bras d’un autre époux, au milieu des enfants dont je ne serais pas le père et qu’elle ne te crie :

« J’aurais été bon père et bon mari ; la nature avait mis en moi le germe du bien, tu l’as flétri comme un vent malfaisant. Rends-moi mon bonheur et ma vie, et mes belles années passées dans la douleur et la souffrance ! rends-moi ma divine croyance à l’amour et au bonheur, rends-moi la paix de mon âme, rends-moi une vie que je t’avais donnée tout entière et que tu as foulée aux pieds comme chose vile et méprisable, rends-moi toutes ces affections si douces pour les autres hommes et dont se compose leur bonheur, ces affections de père, de frère, d’amis, que j’ai répudiées et rejetées au loin, jaloux que j’étais de te donner toute ma vie, tout mon amour sans partage. »

Tu me laisses dans la vie comme dans un désert où le vent brûle, sans ombrage pour la tête, sans eau pour la soif, sans chemin, sans but, sans espoir, sans désir que la mort.

Ô Magdeleine, cent fois le jour je t’appelle en criant et pleurant, et ma voix ne va pas jusqu’à toi. Malédiction sur moi ! malédiction sur ma vie ! elle est séchée à peine en sa fleur.

Sais-tu ce qui m’attache et me retient à la vie ? sais-tu pourquoi la mort m’épouvante, pourquoi je ne me suis pas encore jeté dans ses bras ? C’est qu’elle me sépare de toi pour toujours, c’est qu’elle m’ôte même mes souvenirs et mon bonheur passés, et mes souffrances, et mes larmes, qui sont tout ce qui reste de ce bonheur.

Oh ! si je croyais, si je croyais que l’âme vit après le corps, que je pourrais planer sur ta vie comme un protecteur invisible, comme un vent frais et parfumé, jouer dans ta chevelure, m’enivrer de ton souffle et toucher tes lèvres avec l’air que tu respires, voilà ce que je n’ose croire. Si je le croyais, Magdeleine, je mourrais, je serais mort ; mais perdre le souvenir des jours où tu m’aimais, perdre ce bonheur que tu m’as donné, ces souvenirs qui me font encore tressaillir, et qu’au moins toi-même tu ne peux m’arracher ! C’est une richesse bien précieuse pour moi et peut-être devrais-je m’en contenter et ne pas me plaindre d’expier par les plus horribles angoisses un bonheur plus grand que je n’avais osé l’imaginer ; car tu m’as aimé, toi, Magdeleine et j’ai eu tort de me plaindre du bonheur que le ciel partage aux hommes, j’ai eu ma part, plus que ma part.

Pauvre homme ! pauvre homme que je suis ! Peut-être ne daignera-t-elle pas lire cette lettre, et pourtant j’ai effacé les mots qui laissaient voir cette passion qui me consume et qui l’épouvante, tant j’ai peur de la choquer, tant je n’ose plus réclamer des droits, mais implorer la pitié.

Cependant, Magdeleine, il faut que je te le dise, et tu me croiras, car je ne t’ai jamais trompée : je te jure par mon amour pour toi, par ce que j’ai de plus sacré, tu ne trouveras nulle part l’amour que j’ai pour toi, et, si tu comprends un autre bonheur que l’amour, malheur à toi ! ton cœur est mort.

Ils disent tous que je suis fou d’avoir cru à ta constance, et, quand je dis : « Elle n’était pas comme les autres femmes, son amour n’a pu passer comme un parfum emporté par le vent, » ils rient, et encore ils m’appellent fou. Ont-ils donc raison ? et ne suis-je qu’un fou, qu’un pauvre fou ?

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