LXXXII Stephen à Magdeleine

Voilà ce que vous me demandez, Magdeleine :

De renoncer à tout ce qui faisait le bonheur de ma vie et de vivre d’une vie creuse et vide, de mourir lentement de douleur, au lieu de mourir d’un seul coup.

De vous livrer à un autre, de respecter la vie et la tranquillité de celui qui m’arrache votre amour et mon bonheur et le cœur, moi qui aurais voulu écraser sous les pieds l’homme assez hardi pour vous regarder d’un œil de désir.

Voilà ce que vous me demandez !

Et cependant, comme il me faut votre bonheur avant tout, comme il m’est plus cher que la vie mille fois, je ferai tout ce que vous croirez nécessaire à votre bonheur, qui jamais n’aurait dû être séparé du mien.

Mon amour pour vous est un culte ; Edward, sous votre protection, est à l’abri de ma vengeance, comme le criminel dans un temple était jadis hors de l’atteinte des lois.

Je ne lui demande qu’une chose, c’est votre bonheur ; il faut qu’il vous fasse heureuse, il faut que ce soit le seul but de sa vie, car je lui demanderais un compte sévère de chaque instant de son existence qui ne vous serait pas consacré, d’une seule larme que je vous verrais répandre, d’un soupir que je vous entendrais étouffer, d’un seul nuage sur votre front, d’un seul de vos désirs qui ne serait pas satisfait ; il faut que vous soyez heureuse, votre bonheur me coûte assez cher pour que j’y tienne, puisque vous croyez que pour votre bonheur il vous faut tuer le mien.

Il sera votre époux, j’assurerai votre tranquillité et la sienne, non pour lui que je voudrais écraser comme un reptile, mais pour vous, pour votre bonheur, puisque vous avez mis votre bonheur en lui.

Je ne me tuerai pas ; si je meurs, ce sera de douleur, et, pour ne pas vous paraître désagréable, je tâcherai de mourir en souriant.

Quand vous aurez un enfant, vous me le donnerez : je l’élèverai aux lieux où nous devions vivre ensemble, où nous devions élever nos enfants, à vous et à moi.

Magdeleine, êtes-vous contente ? Ne dites plus de mal de mes illusions, si ce qui remplit mon cœur n’est qu’illusion ; pourquoi Dieu m’a-t-il donné une vie trop petite ou une âme trop grande pour m’en contenter ?

Est-il méchant ou impuissant ?

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