XXXV Stephen à Magdeleine

J’ai reçu deux lettres de toi, chère Magdeleine, l’une où tu me demandes mon amitié pour ta Suzanne, l’autre où tu me parles de la pluie qui t’a surprise tandis que tu allais porter à la poste la première lettre.

Je ne t’ai pas répondu plus tôt parce que je n’ai rien de nouveau et rien de bon à t’apprendre : le sort ne me favorise pas ; cependant, je suis loin de me décourager ; il faudra bien qu’il cède à mon ardeur et à ma persévérance.

Oui, je l’aime, ta Suzanne, non parce qu’elle dessine et joue du piano, non parce qu’elle est d’une blancheur éblouissante, mais parce qu’elle t’aime, parce qu’elle est aimée de toi.

Je l’aime, et je la remercie du fond de mon cœur de ce que son amitié te donne de bonheur et de consolation.

Pauvre fille ! tu me demandes si j’accepterais tes dons dans le cas où tu mourrais avant moi ! Qu’en ferais-je ? Eh ! puis-je vivre sans toi ? N’es-tu pas mon âme et ma vie ? Et qu’aurai-je à faire ici sans toi, au milieu d’un monde auquel je ne pourrais demander aucune affection, parce que j’ai tout donné et que je n’aurais rien à lui offrir en échange ? Cette pensée est tellement enracinée en moi que, si l’idée que tu peux m’oublier, que l’amour peut s’éteindre dans ton cœur vient quelquefois obscurcir tristement ma vie, je ne suis nullement ému de la pensée de ta mort, car je mourrais avec toi et nous irions nous réunir au sein de Dieu, dans une vie meilleure, si elle existe ; sinon, nous serions anéantis ensemble, et ma seule crainte serait de ne pas avoir ton dernier regard, de ne pas recueillir ton dernier soupir, de ne pas mourir dans tes bras. Qui sait, Magdeleine, si ce n’est pas la seule union qui nous soit destinée ?

Tu as été bien mouillée, cher ange, de cette pluie qui t’a surprise ! Prends soin de ta santé, retarde plutôt d’un jour l’envoi de tes lettres, je t’en supplie.

J’ai écrit à Eugène pour lui annoncer ton présent : adresse-le au troisième régiment de chevau-légers, la poste se chargera de le lui faire parvenir.

Adieu. Je t’envoie, en échange de ta bague, que j’ai baisée mille fois, une bague semblable, faite de mes cheveux.

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