CXVII UN AMI

Stephen souffrait de son bras, il ne put dormir ; et, d’ailleurs, les caresses affectueuses de Magdeleine pour Edward lui déchiraient les entrailles ; il lui semblait les voir dans les bras l’un le l’autre ; il se rappela son amour et ses souffrances, les promesses de Magdeleine et le jour de son mariage avec Edward.

» Il faudra que quelqu’un paye tout cela, dit-il, et encore la force que j’ai eue hier de ne pas briser cette main que je tenais dans la mienne.

Edward entra, son accueil fut embarrassé ; Stephen le prévint, et, après quelques instants d’une conversation insignifiante, lui dit :

— Tu m’as vu bien fou, mon cher Edward, ne voulant écouter ni ta raison ni celle de mes autres amis, qui me disaient que mon amour était une fièvre qui se consumerait elle-même.

» Je suis guéri : j’ai vu hier ta femme sans la moindre émotion ; la douleur de mon bras m’a empêché de dormir, je me suis examiné, et mon amour est bien mort. Ce n’était pas elle que j’aimais, c’était un vain songe, il s’est évanoui ; je n’ai plus vu en Magdeleine que ta femme, et l’affection que je me sens disposé à avoir pour elle n’est qu’un reflet de notre ancienne amitié à nous deux.

» Assez longtemps je me suis éloigné de mon ancien ami ; j’ai voulu goûter tout ce qu’il y a dans la vie ; j’ai vu que la seule chose vraiment bonne est l’amitié, et je suis heureux de pouvoir me rapprocher de toi sans danger pour ma tranquillité. »

Les deux amis se serrèrent la main et se rappelèrent leur joyeuse pauvreté, et les jours plus éloignés encore de leur enfance, et le voisin dont ils volaient les pommes, et le précepteur dont ils brisaient le fauteuil et cachaient la perruque, et la vieille servante qu’ils enfermaient dans la cave.

Le lendemain, Stephen reçut d’Edward et de sa femme une invitation à dîner. Il montra une douce et aimable gaieté ; il y avait monde ; son esprit fut très-goûté. On dansa : il ne savait pas danser ; il vit avec dépit qu’Edward, qui dansait fort bien, prenait un avantage sur lui.

Le soir, il sortit ; ses nerfs étaient dans une horrible agitation par suite de la contrainte qu’il s’était imposée ; son air riant disparut de son visage comme un masque qu’il eût ôté avec sa main.

« — Ils n’ont pas eu de pitié de moi ; ils ont eu la cruauté de s’embrasser devant moi. Malédiction ! ils ne savent pas ce qu’ils m’ont fait de mal ; j’ai eu la force de la cacher, car il faut arriver à mon but. »

Le lendemain matin, il fit appeler un maître de danse et un maître de chant.

Edward de son côté s’était d’autant plus volontiers rapproché de Stephen qu’il le savait riche et se proposait de lui emprunter de l’argent pour rétablir ses affaires, qui étaient fort dérangées.

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