XIII Wergiss-mein-nicht

Une, deux, trois,
Je vous le donne en dix.

Il advint cependant un matin que Stephen trouva Magdeleine au jardin. Elle fit semblant de ne pas l’avoir aperçu pour prendre le temps de se remettre.

Depuis plusieurs jours, Stephen me pouvait rester dans sa chambre ; il faisait au loin de longues promenades et rentrait fort tard. Un jour, il revint avec la fièvre. Geneviève le dit à M. Müller, qui monta le voir. Ils causèrent quelque temps, et, quand M. Müller se leva pour sortir, Stephen prit à son chevet un bouquet de wergiss-mein-nicht.

— Donnez, je vous prie, ce bouquet à mademoiselle Magdeleine ; je l’ai cueilli pour elle.

Et M. Müller fit sa commission.

Stephen fut deux jours sans pouvoir sortir de sa chambre ; il voulut se lever pour descendre au jardin ; ses jambes ne purent le soutenir et il tomba sur le carreau.

Pendant sa réclusion, il fit des projets et prit une résolution. Cette résolution était de déclarer son amour à Magdeleine la première fois qu’il en trouverait une occasion favorable.

C’est dans cette disposition d’esprit qu’il arriva au jardin, où il trouva Magdeleine, comme nous l’avons dit.

Il s’avança vers elle, bien affermi dans sa résolution, et la salua. Magdeleine lui rendit son salut d’un signe de tête ; puis tous deux baissèrent les yeux, et il se passa quelque temps sans que ni l’un ni l’autre voulût commencer. Cependant Stephen leva les yeux, contempla Magdeleine, dont la beauté était relevée par une parure simple et négligée, une longue robe blanche et les cheveux en bandeau sur le front.

Il sentit qu’après un aussi long silence, il ne pouvait commencer la conversation par « Comment vous portez-vous ? » Il fit un effort comme un homme qui ferme les yeux pour sauter un fossé dont la profondeur l’épouvante et ouvrit la bouche pour dire : « Magdeleine… » Mais son émotion était telle, que la voix ne put sortir de sa poitrine oppressée. Magdeleine alors prit la parole et lui dit :

— Vous êtes encore pâle, monsieur Stephen.

Il s’inclina.

— Vous avez donc été bien malade ? continua-t-elle ?

— J’ai un peu souffert, dit-il ; mais il ne faut pour me guérir que ce beau soleil et…

Il voulait dire : « Et votre aspect, et vos regards plus doux que le soleil, et votre voix qui pénètre le cœur ; » mais il s’arrêta.

Il y eut encore un moment de silence. Magdeleine, qui avait plus d’usage du monde, prit un sujet de conversation.

— Je vous remercie du bouquet que vous m’avez envoyé. Ces wergiss-mein-nicht, continua-t-elle, sont mes fleurs favorites ; je suis seulement fâchée que nos poëtes allemands n’en parle que pour faire de froids jeux de mots ; Gœthe seul en fait une petite description :

Wergiss-mein-nicht, petite fleur d’azur,

Amante des eaux solitaires,

Que j’aime à voir tes feuilles légères

Et tes pétales d’un bleu pur

Suivre le mouvement de la vague roulante

Qui vient en s’allongeant faire ployer les joncs

Dont la ceinture verdoyante

Entoure l’onde des vallons !

Et la conversation prit une telle tournure, que l’on parla des poëtes et de leurs ouvrages, et que Stephen se donna à lui-même pour excuse d’avoir manqué à sa résolution, qu’il valait mieux écrire à Magdeleine pour ne pas trop l’embarrasser et la faire rougir, et se fit croire que l’occasion et le temps avaient manqué.

Share on Twitter Share on Facebook