XIX

À l’heure où le soleil paraît, à l’horizon,
Brillant de pourpre et d’or, dans l’onde au loin rougie
Enfoncer lentement et son disque et ses feux,
D’un éclat plus majestueux
Un instant brille la nature ;
Son roi répand sur elle une lumière pure,
Et d’un regard d’amour il lui fait ses adieux.
Tout se tait : les oiseaux, cachés sous le feuillage,
Ont interrompu leurs concerts ;
On n’entend plus le peuplier sauvage
Balancer son front dans les airs.
Dans ce moment de calme et de silence
Qu’avec plaisir le cœur s’abandonne aux appas
Des désirs, des projets…

— Il faudrait, dit Magdeleine, que la maison fût au soleil levant.

— Oui, dit Stephen, mais il faut savoir d’abord où nous mettrons notre maison. N’aimeriez-vous pas qu’elle fût sur un coteau, près d’une rivière ? L’eau anime le paysage ; l’herbe est plus verte dans une plaine arrosée par une rivière, et ce voisinage nous procurerait le plaisir de la pêche, des bains et de la promenade en bateau.

— J’accorde la situation, dit en souriant Magdeleine ; mais je maintiens mon opinion sur l’exposition la plus convenable.

— Accordé, dit Stephen.

— Il ne nous faut, reprit Magdeleine, que deux étages : en bas, une salle à manger, une cuisine et une chambre de domestique ; en haut, votre cabinet, un salon et…

— Et notre chambre.

Magdeleine rougit. Il y eut un moment de silence, après quoi elle continua : – La maison sera couverte en tuiles, les ardoises sont tristes à la vue ; les volets seront peints en vert.

— Je ne suis pas trop pour les volets verts, à moins qu’ils ne soient d’un vert sombre.

— Ils seront d’un vert sombre. Il faut planter autour de la maison, de la vigne, de la clématite, du chèvrefeuille.

— Et aussi du jasmin et des rosiers du Bengale.

— De sorte que la maison sera toute tapissée de verdure et de fleurs. Devant, sera le jardin fleuriste. Mais j’ai oublié quelque chose.

— Quoi donc ?

— Il nous faut deux chambres de plus, pour mon père et votre frère.

— Oui, Magdeleine, ils ne nous quitteront pas.

— Le jardin fleuriste sera cultivé par mon père ; derrière la maison seront le verger et le potager.

— Je veux aussi de l’herbe épaisse, un beau gazon, et, au-dessus, de grands arbres qui donnent une ombre fraîche et épaisse.

— Des tilleuls ; et le tout sera fermé d’une haie d’aubépine et d’églantiers.

— Non, on est trop exposé aux regards importuns dans un jardin ainsi couvert ; il faut représenter continuellement. J’aime mieux un grand mur.

— Alors, il faudra tapisser le mur en dedans avec l’aubépine et les églantiers avec leurs petites roses si parfumées.

— De la vigne vierge et du houblon au feuillage d’un vert sombre ; de plus, au pied des arbres nous mettrons des fleurs rampantes, des pois de senteur avec leurs fleurs qui ressemblent à des papillons.

— Et, dans l’endroit d’où l’on découvrira un point de vue, un banc de gazon, juste assez large pour nous deux ; ce petit banc, nous l’entourerons d’arbustes et de fleurs : des lilas, des syringas, du chèvrefeuille, des rosiers et des jasmins, des violettes et du muguet, et des liserons.

— Au milieu du jardin, il faudra un petit bassin qui nous servira de vivier.

— Il faudra l’entourer d’un treillage à cause des enfants.

Cette idée, qui était écharpée à Magdeleine, émut les deux amants à un point extraordinaire. Magdeleine, pour cacher sa rougeur, se baissa pour ramasser une fleur qu’elle avait laissé tomber.

Stephen voulut la prévenir, en se baissant, leurs cheveux se touchèrent, un frisson leur parcourut tout le corps ; on eût dit que c’étaient leurs deux âmes qui s’étaient ainsi touchées.

Quand ils furent plus calmes :

— Nous avons fait bien des projets, dit Magdeleine ; et qui sait s’ils seront jamais réalisés ? l’avenir n’est pas à nous.

— Il est à nous si tu m’aimes ! s’écria Stephen ; s’il nous est contraire, je le vaincrai.

— Oh ! dit Magdeleine, je ne sais pourquoi j’ai peur. Nous sommes trop heureux.

Et ils devisèrent de la sorte encore quelque temps.

Stephen portait à ses lèvres la main de Magdeleine ; elle cherchait à la retirer. En se séparant, il déposa un baiser de feu sur son front ; elle devint toute tremblante et s’enfuit en lui laissant un regard de reproche.

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