XLI

LÉON GATAYES.

Comme le soin du ménage était confié à Edward, c’était lui qui allait chercher de l’eau à la fontaine, qui faisait cuire les pommes de terre et balayait la chambre ; mais il avait aussi le maniement des fonds, et des innovations qu’il se permettait dans la cuisine, le fourneau qu’il cassa deux fois et qu’il fallut deux fois remplacer, un carreau qu’il brisa en éclats, exagéraient singulièrement les dépenses : aussi, quand approcha la fin du mois, la nourriture se trouva un problème et une solution à trouver.

— Il paraît, dit en riant Stephen, que tu brises tout.

— J’ai cassé un mauvais carreau ce matin ; mais, à l’avenir, il faut que nous ayons chacun notre appartement séparé (et, avec de la craie, il divisa la chambre en deux parties). Toi, tu demeureras du côté de la fenêtre ; on mettra dans ta chambre la cruche à l’eau, le fourneau et tout ce qui peut être brisé ; seulement, le fourneau devra être sur la limite, pour que je puisse remplir mes fonctions de cuisinier.

Pendant ce temps, Stephen écrivait et ne s’occupait pas des travaux de son hôte.

— Mon tyran d’oncle ne m’écrit pas, ajouta-t-il, je lui ai pourtant envoyé mon adresse, et je ne lui ai pas dissimulé ma situation ; et avec cela qu’il n’y a plus d’argent à la caisse et qu’il faut vivre encore cinq jours. Dis donc, Stephen ?

— Hein ?

— Est-ce que tu tiens beaucoup à avoir la tête haute la nuit ?

— Non ; pourquoi ?

— Peu de chose : c’est que ce traversin n’est vraiment bon qu’à couvrir nos habits de duvet ; qu’il faut ensuite les brosser pendant deux heures ; que cela les use, et qu’il n’est pas probable que, d’ici à quelque temps, nous ayons les moyens de les renouveler. Il faut vendre le traversin ; qu’en dis-tu ?

— Fais ce que tu voudras.

— Dis donc, Stephen ?

— Hein ?

— Regarde donc encore ce bois de lit : puisque nous couchons par terre, pourquoi ce luxe inutile ? il faut vendre le bois de lit, et puis ces embouchoirs de bottes. Quelle vanité d’avoir des embouchoirs quand on n’a pas de bottes ! Est-ce que tu as des bottes, toi ? Il faut faire cuire les pommes de terre avec les embouchoirs.

Et il sortit, laissant Stephen préoccupé de sa lettre ; puis il amena un homme auquel il vendit le traversin et le bois de lit.

Le marchand demanda s’il fallait aussi emporter la couverture et le matelas.

— Dis donc, Stephen ?

— Hein ?

— Est-ce que tu ne trouves pas ridicule d’avoir une grosse et pesante couverture de laine dans cette saison, à la fin du mois d’avril ? Marchand, emportez la couverture.

— Pour le matelas, tu es trop sybarite pour coucher sur la dure ; nous garderons ce matelas, quoique deux bottes de paille bien fraîche soient un lit aussi bon qu’on peut le désirer.

— Vous n’avez pas de ferraille, de verre cassé ? dit le marchand.

— Si fait bien, dit Edward. (Et il ôta la serrure de la petite table.) Voilà de la ferraille. (Et il prit dans un coin les débris du carreau qu’il avait brisé le matin.) Voilà du verre cassé. – Dis donc, Stephen, il me vient une idée.

— Voyons ton idée.

— Nous sommes en plein printemps ; comme tu le disais hier en rentrant, le vent fait voler les fleurs des amandiers ; si nous cassions les carreaux pour les vendre comme verre cassé ?

Stephen combattit cette dernière idée, qui ne fut pas mise à exécution. Quand le marchand fut parti :

— Eh bien, Stephen, nous voilà riches jusqu’à la fin du mois, et, de plus, nous avons l’avantage de ne plus avoir de meubles.

— Est-ce un avantage ? dit Stephen.

— Oui, et, si tu veux, je te le démontrerai.

— Quand j’aurai fini ma lettre.

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