XXXIII

Celui qui chasse dans la plaine
C’est le seigneur d’un grand palais.
Si sa richesse était la mienne,
Oh ! que de choses je ferais !
D’abord, à ma gente Marie
J’achèterais, pour notre hymen,
Une belle robe en soierie
Avec un bel anneau d’or fin.
Et puis, comme la châtelaine,
Elle aurait un voile flottant,
Et ses pieds raseraient la plaine
Dans des souliers de satin blanc.


Mais de loin, en blanche nuée,
À travers l’ombre, j’aperçois
Monter lentement la fumée
Qui sort de son rustique toit ;
Cette femme allongeant la tête
Sur l’onde qui roule et s’enfuit,
C’est Marie ! Ah ! me voici.
Au beau jour qu’avec tant de joie
Voit venir ton heureux amant,
Ta robe ne sera de soie,
Tu n’auras qu’un anneau d’argent ;
Ta taille souple et si jolie
Sous la toile paraîtra mieux ;
Sous un long voile en broderie,
On ne verrait pas tes yeux bleus.

SCHILLER.(Le Chant du Pêcheur.)

L’abandon où se trouvait Stephen, repoussé par sa famille, ne le découragea pas : il y a cela de particulier aux âmes énergiques, qu’elles se réveillent dans le danger, grandissent devant les obstacles, quels qu’ils soient, et éprouvent une jouissance indéfinissable à se sentir fortes et prêtes à combattre.

La libéralité de ce parent, qu’il ne connaissait pas, l’avait fait riche : il était possesseur de près de deux cents florins, néanmoins, partant sans recommandations, sans connaissances, il pensa prudemment qu’il avait besoin de ménager son argent, et, sa valise sur le dos, il partit à pied avant le jour. Il marchait faisant des projets. – J’aurai une petite place dans l’Université ; mon travail opiniâtre m’en fera, en moins d’un an, obtenir une plus lucrative, et Magdeleine sera à moi, car il ne nous faut pas de richesses ; Magdeleine n’est pas coquette, et elle ne voudra être belle qu’à mes yeux ; et il faisait des calculs de ménage. Il faudra tant pour la location d’une petite maison, tant pour notre table, tant pour nos vêtements, tant pour une servante, car Magdeleine est délicate, et elle ne peut se livrer à tous les soins du ménage.

À ce moment, le soleil se levait, Stephen s’arrêta et se retourna ; on voyait alors sortir du brouillard la petite ville qu’il venait de quitter. « Adieu, dit-il, parents qui m’avez rejeté ; il n’y a plus dans mon cœur d’amour pour vous ; Magdeleine ! Magdeleine ! tout est à toi ! tout ce qu’il y a de tendresse dans le cœur d’un homme, tout ce qu’il divise entre ses amis et ses parents ! tout est à toi ! Magdeleine, tout, et je suis heureux de n’aimer que toi ! je suis heureux de te donner toute mon âme et toute ma vie. Adieu, bel ange ! attends-moi. »

Et il continua sa route, tantôt à pied, tantôt, pour quelques pièces de monnaie, montant dans des fourgons, tantôt derrière les voitures publiques, sans l’autorisation du conducteur.

Arrivé à Gœttingue, il alla trouver la seule personne qu’il connut dans la ville : c’était un vieux professeur dont il avait pris autrefois des leçons. Celui-ci le reçut assez bien et lui promit vaguement de s’occuper de lui. Stephen n’osa pas dire qu’il lui fallait une place et se retira ; de temps à autre, il retournait chez le vieux professeur et osait à peine lui parler du but de sa visite.

Et que cette timidité n’étonne personne, elle est naturelle dans un esprit poétique, dans une imagination exaltée comme l’était celle de Stephen ; et, avec cette nature, il est plus facile souvent de marcher en souriant contre les coups de fusil, de franchir les plus horribles précipices, que de demander un petit service à un homme. On se trouve embarrassé, comme l’eût été Hercule de lutter contre un pygmée : on a l’âme raidie contre un grand danger, contre, un grand malheur ; on ne sait comment attaquer une contrariété.

Le temps se passait, et le vieux professeur disait toujours à Stephen : « Je n’ai encore rien pour vous. »

Malgré ce désappointement, Stephen se disait : « Quoique prétende mon oncle qu’avec deux bons bras un jeune homme ne doit manquer de rien, si je n’avais pas le bonheur de connaître ici ce vieil homme, il n’y a pas de raison pour que je trouve jamais une occupation, et, avec deux bons bras, je ne réussirais qu’à mourir de faim.

» Me voilà seul, isolé, sans appui ; ceux qui m’ont rejeté avaient-ils le droit de me mettre au monde sans m’y avoir d’abord préparé ma place ? Le cygne n’a-t-il pas soin de placer son nid près d’une rivière ?

» N’importe, finissait-il par dire, avec l’amour de Magdeleine je triompherai de tous les obstacles ; j’ai les mêmes chances de succès que tous ceux qui m’entourent, et, de plus qu’eux tous, j’ai la force que me donne mon amour. »

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