Fischerwald, comme Richard, avait reçu une lettre d’Hélène, où, leur expliquant son dessein, elle les suppliait de ne pas paraître l’avoir jamais vue.
Les deux amis de Maurice, qui ne connaissaient pas, comme lui, tout ce qu’il y avait de noble et d’élevé dans Hélène, ne pouvaient cependant s’empêcher d’admirer un semblable amour ; néanmoins, ils n’étaient pas sans quelque inquiétude sur les résultats d’une résolution qui, prise de bonne foi de part et d’autre, leur semblait au-dessus de la force humaine.
Pour Maurice, un jour qu’il se trouva seul avec Hélène, il lui dit en lui prenant la main : — Hélène, vous êtes une noble femme, et moi j’ai été bien lâche !
— Monsieur Maurice, lui dit-elle, vous avez fait ce que tout autre aurait fait à votre place.
— Ah ! dit Maurice, ne devais-je être que comme un autre homme, quand vous êtes tellement au-dessus de toutes les autres femmes ?
— Ne regrettons pas le passé, dit Hélène, j’ai été bien heureuse ; et, aujourd’hui, j’ai autant de bonheur qu’il m’est permis d’en avoir.
— Vrai ! Hélène, vous n’êtes pas malheureuse ? oh ! dites-le-moi encore. Si vous saviez comme cette pensée me soulage ; combien je maudis les liens indissolubles que j’ai formés ; combien je me maudis moi-même.
— Ne maudissons rien, ne maudissons personne, dit Hélène ; mais, je vous en supplie, monsieur Maurice, plus de semblables conversations ; cela ne peut que faire du mal à vous et à moi. Et, si le moindre soupçon se glissait dans l’esprit de votre femme, elle me chasserait ! il me faudrait mourir.
Une autre fois, Maurice lui dit : — Hélène, vous avez peut-être besoin d’argent ? Et il lui mit dans la main quelques pièces d’or.
Hélène repoussa l’argent.
Mais Maurice ajouta : — Pour votre mère.
— Maurice, dit-elle, vous avez raison.
Au bout de quelques mois, Hélène faisait tout à fait partie de la famille, Pauline l’aimait comme toute femme aimerait une femme jeune et belle qui renonce à tous les avantages de sa jeunesse et de sa beauté.
Pour Hélène, elle était résignée ; et, si parfois elle était humiliée, la pensée unique qui lui remplissait le cœur l’empêchait de sentir la blessure, ou du moins l’amortissait beaucoup.
Maurice vivait entre sa femme et son ancienne maîtresse ; et cette situation, d’abord si bizarre et si embarrassante, lui était devenue habituelle ; quelquefois seulement il regardait Hélène avec un regard triste et affectueux.
Hélène était aussi venue au point de regarder cette situation comme devant toujours durer ; elle donnait quelque argent à la fille de cuisine pour payer ses soins pour sa fille ; seulement, elle souffrait bien de voir son enfant reléguée souvent avec les domestiques la plus grande partie de la journée ; cependant elle travaillait dans sa chambre, et elle l’appelait auprès d’elle.
Un autre sujet de chagrin pour elle encore, c’était de voir sa fille si simplement habillée, près de l’enfant de Pauline, que l’on couvrait de soie et de dentelles.
Pour elle, quoiqu’elle ne pensât plus guère à se parer, elle pleurait quelquefois en sortant d’habiller Pauline et de contribuer à augmenter sa beauté ; souvent ses yeux rencontraient la porte du couloir, et un jour elle avait vu un mouchoir que Maurice avait oublié dans la chambre de sa femme.
Mais, de même que les douleurs physiques que le malade porte à l’excès en touchant et pressant sa blessure, finissent par ne plus être senties, à force d’être violentes, parce que les nerfs se détendent pour avoir été trop tendus et perdent leur sensibilité, ainsi Hélène alors parait Pauline avec plus de soin, et la faisait belle pour Maurice, faisant d’elle-même une complète abnégation, et ne songeant qu’à son bonheur et à ses plaisirs à lui, de quelque part qu’ils lui dussent venir.