XLII

Quelques jours après, Maurice fit une visite chez madame Rechteren ; il y trouva Blanche et Pauline avec leur mère.

— Ah ! dit Blanche, vous avez un habit semblable à celui de monsieur Richard.

Maurice fut choqué de paraître imiter Richard ; cependant il ne voulut pas revendiquer l’invention d’un habit. — Madame, dit-il à la mère, je vous demanderai la permission de vous présenter mes amis, Richard et Fischerwald.

Huit jours après, Richard était dans la maison au moins aussi bien que Maurice.

Un soir, comme les amis se retiraient de bonne heure, Richard et Fischerwald pour une partie de billard convenue, et Maurice pour une promenade solitaire, Pauline s’avisa de demander:

— Qu’avez-vous donc à faire, que vous partez si tôt ?

Maurice allait répondre ; mais Richard lui coupa la parole, en disant : — La lune est si belle ce soir, sa lumière pâle est si douce à travers les arbres, que je vais passer le reste de la soirée à errer solitairement.

— C’est un plaisir, dit Blanche, que nous nous donnons quelquefois, lorsque nous pouvons persuader à ma mère que nous n’aurons ni rhume ni fluxion de poitrine. Ce soir, nous ne verrons la lune qu’à travers les vitres.

— Nous la regarderons en même temps, vous ici, moi dans le bois.

Blanche rougit et baissa les yeux.

— Et vous, dit Pauline à Maurice, quel soin si pressant vous appelle ?

Maurice eût eu mauvaise grâce à dire après Richard : — Je vais errer au clair de lune dans les bois : on eût encore dit : C’est comme monsieur Richard. Il eût, comme cela lui était déjà arrivé plusieurs fois, paru un reflet de Richard.

Semblable à certains limaçons qui, ayant perdu leur coquille, s’emparent de force de la coquille d’un autre, il ne trouva rien de mieux à dire que : — Je vais jouer au billard avec Fischerwald.

Or, il était tout différent de laisser à des jeunes personnes assez romanesques — l’image d’un homme qui, la nuit, va seul promener dans les bois peut-être des pensées d’amour.

Ou d’un autre qui, dans un café, au milieu des cris, des juremens, de la fumée du tabac, de l’odeur de la bière et des quinquets, va déployer tous ses talens pour faire payer à un autre les quelques verres de punch et de bière qu’il boira sans avoir soif.

Et ce n’était pas une impression fugitive qu’ils laissaient, — c’était le soir, quand seules, retirées dans leurs chambres, libres des regards de leurs mères et de mille bienséances qui prennent toute leur attention, et de soins de coquetterie qui absorbent leurs pensées, — l’imagination des filles, délivrée des entraves de la journée, comme leurs corps des baleines du corset, — se rappelle, résume la journée, cherche à comprendre chaque mot, chaque geste, chaque regard, interroge leurs propres sensations, rêve l’avenir si rose des filles, et l’amour tel qu’on l’invente à seize ans.

Puis elles s’endorment, bercées par ces riantes pensées, espérant que leurs songes vont leur dire l’avenir et leur dévoiler quelqu’un de ces mystères inconnus qui leur font battre le cœur.

Richard et Fischerwald allèrent rejoindre leurs amis au café.

Maurice les quitta et alla se promener.

Il songea à sa situation. — J’ai eu tort, dit-il ; je n’aurais pas dû introduire Richard avant de m’être fait connaître tel que je suis, pour qu’il ne pût ainsi entrer dans ma peau malgré moi et m’en chasser ; maintenant je n’ose dire un mot sans craindre de m’entendre dire : — C’est comme monsieur Richard.

Et, si Maurice ne s’était pas manifesté plus clairement aux deux jeunes filles, c’est que naturellement il était peu communicatif avec les gens qu’il ne connaissait pas intimement, et que, d’ailleurs, il attendait à avoir fait son choix pour ouvrir son cœur et son esprit à celle qu’il voulait épouser, et lui dire : — Vous me voyez avec mes qualités et mes défauts, mes avantages et mes ridicules, mes idées, mes désirs, mes espérances, mes craintes, mes habitudes.

Il n’était plus temps : il pensait bien qu’il reprendrait son avantage après le mariage ; que Richard ne pourrait soutenir le personnage, et que chacun rentrerait nécessairement dans sa coquille.

Cependant il sentait quelque ressentiment contre Pauline, et surtout contre Blanche, de ce qu’elles n’avaient pas plus de perspicacité et se laissaient prendre aux semblans de Richard.

S’il eût choisi librement, il eût préféré Blanche ; sa nature s’accordait mieux avec ses idées sur les femmes, mais il avait remarqué sa rougeur quand Richard l’avait quittée ce même soir, et elle lui avait dit : — Je me fais faire une robe à la vierge.

 Allons, dit Maurice, j’épouserai Pauline.

Mais il s’était tellement enfoncé dans le bois, qu’il ne put retrouver sa route, et passa dans le bois le reste de la nuit.

Il rentra chez lui le matin, et dormit. Quand il arriva chez la mère de Pauline, Richard y était déjà allé, qui avait demandé la main de Blanche.

Il avait été parfaitement accueilli ; mais Pauline avait rougi et pâli, et ce fut peut-être à moitié par dépit qu’elle accepta, avec empressement, les offres de Maurice.

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