La vue de Fischerwald avait réveillé pour Hélène de cuisans souvenirs. Renfermée chez elle, elle désirait et elle craignait à la fois d’avoir été reconnue : elle rappela alors sa richesse passée, sa chambre tendue de soie violette et blanche ; ses nombreux domestiques, sa voiture, ses chevaux fringans, et cette cour dont elle était environnée comme une reine.
Elle rappela aussi le jour où, sur ce riche divan, Maurice, assis près d’elle, lui avait déclaré son amour, et ces douces émotions dans cette nuit presque entièrement passée au jardin ; alors elle jeta un regard sur elle ; ses vêtemens étaient misérables ; mais ce qui lui serra le cœur, c’est qu’ils étaient sales, qu’elle n’avait même pas d’argent pour prendre un bain ; — à cette idée elle pleura.
Elle se leva engourdie par le froid ; elle marcha dans la chambre pour se réchauffer un peu, puis elle se mit à travailler ; mais le froid lui enchaînait les doigts, et d’ailleurs les souvenirs bouillonnaient dans sa tête ; elle se leva encore une fois, raide de froid. — Ô mon Dieu ! dit-elle avec un doux sourire de joie, heureusement qu’il y a du feu à l’école.
Bientôt elle renonça à travailler et sortit pour aller chercher sa fille, car l’école devait être finie ; en la ramenant, elle songea qu’elle n’avait pas travaillé ; qu’elle n’aurait rien pour le déjeuner que sa fille devait le lendemain emporter à l’école.
Quand elle rentra, elle lui dit qu’elle avait soupé en l’attendant ; elle lui donna à souper, et réserva sa part à elle pour le déjeuner du lendemain ; elle la fit coucher et se coucha aussi, car le froid n’était pas tolérable, l’enfant même le sentait dans son lit, quoique Hélène se découvrit pour la couvrir et la réchauffât de tout son corps. Hélène était assise dans le lit et avait les coudes sur les genoux et la tête dans les mains. La petite ne dormait pas, elle s’avisa de chanter pour l’endormir.
Et chanta :
Komm, lieber Mai, etc.
L’enfant s’endormit, elle s’arrêta ; cette chanson lui rappelait la maison dans le bois, son père, sa mère, son frère, jusqu’aux églantiers qu’Henreich avait plantés pour lui faire une couronne de mariée, et dont Maurice lui était allé cueillir une branche.
— Oh ! dit-elle, cher mois de mai, j’espère bien ne pas souffrir jusque-là, j’espère mourir bientôt ; mes pieds ne marcheront plus sur les vertes promenades, je ne cueillerai plus de violettes sur le bord des ruisseaux ; il n’y aura plus pour moi ni violettes ni printemps ; et je mourrai sans voir Maurice. Elle pleura encore ; mais ses sanglots éveillèrent l’enfant, qui dit : — Maman, j’ai froid. Hélène la couvrit un peu plus, la baisa pour la réchauffer, et se remit à chanter :
Reviens, cher mois de mai,
jusqu’au moment où la fatigue de la faim et des pleurs se réunit au froid pour l’assoupir.
Le lendemain, sa fille avait la fièvre et ne put aller à l’école. Hélène, pour réchauffer un peu la chambre, brûla sa table ; mais le soir, l’enfant avait un redoublement de fièvre : elle alla chercher le médecin ; le médecin examina l’enfant et écrivit une ordonnance, puis sortit en disant : — Je reviendrai demain.
En sortant, on avait remis une lettre à Hélène.