XVIII

T’abandonner ! mon Dieu ! sans toi, que deviendrai-je ? n’es-tu pas l’âme de ma vie ?

(CAMILLE S***.)

— C’est horrible, dit Maurice.

— Oui, répondit Hélène, c’est horrible, ce mélange d’amour et de haine, de bonheur ineffable et de désespoir profond, que me jette au cœur chaque mouvement que fait dans mon sein un enfant…

Ton enfant, peut-être, ton amour et le mien confondus en un seul être, nos âmes à tous deux réunies dans un seul corps, le fruit de nos baisers, où nos vies sur nos lèvres se touchent et se confondent.

Il me semble te sentir en moi, et ne plus former avec toi qu’une seule créature.

Mais je n’ose l’aimer cet enfant, peut-être l’enfant du comte Leyen, la honte, l’opprobre que je porte dans mon sein, que je nourris de mon sang et de ma vie.

Honte et opprobre, non-seulement pour moi, mais aussi pour toi !

Il y a trois jours, je doutais encore, j’espérais, je suis allée pour trouver un médecin : « N’est-ce pas, monsieur, lui ai-je dit, qu’un enfant ne peut pas naître de baisers vendus, de caresses impures et sans amour, d’une ivresse non partagée ? N’est-ce pas qu’un enfant ne peut être formé que par l’amour ? »

Il m’a cruellement désabusée ; je me suis jetée à ses genoux, je l’ai supplié pour qu’il m’enseignât un moyen de savoir la vérité ; car si c’est l’enfant du comte Leyen, je voulais mourir ; je n’aurais pas eu la honte de t’apprendre moi-même une nouvelle infamie.

— Il n’y en a aucun, m’a-t-il répondu ; aucune science humaine ne peut pénétrer un semblable mystère.

— Mais, m’écriai-je, et mon regard et ma voix peignaient encore un reste d’espoir, si l’enfant ressemble à Maurice ?

— Ce serait une preuve sujette à discussion, m’a-t-il dit, et qui ne présenterait aucune certitude.

Depuis ce temps, j’ai prié Dieu tous les jours, toutes les nuits, rien n’est venu m’éclairer ; je ne sais rien.

— Rien ! dit Maurice accablé.

— Oui, tu as raison, c’est horrible, continua Hélène ; quand cet enfant naîtra, je n’oserai te demander pour lui ton amour et tes caresses, car c’est peut-être l’enfant de Leyen.

Et cependant si tu le hais, si tu ne laisses jamais tomber sur lui un regard, si tu l’abandonnes, lui et sa pauvre mère, c’est peut-être ton fils, formé de toi, de l’alliance de nos âmes, de notre amour.

Il faudra que je l’aime toute seule.

— Laisse-moi, dit Maurice.

Hélène ne dit rien et se retira.

Comme elle sortait, elle jeta un regard sur Maurice.

Maurice lui tendait la main ; elle prit cette main et la baisa, puis s’enfuit en sanglotant.

Quand Maurice fut seul, seulement alors il comprit tout ce qu’avait d’irréparable le malheur qui tombait sur Hélène et sur lui, tant d’abord il avait été étourdi et anéanti d’un coup aussi imprévu.

Que faire ? quitter Hélène ! pauvre fille, plus malheureuse que moi ! la livrer injustement à son désespoir !

Et peut-être c’est mon enfant à moi.

Que de bonheur, si le ciel avait pitié de nous, si nous pouvions savoir d’une manière certaine…

Pauvre Hélène !

Ce serait trop lâche de l’abandonner, je resterai ; mon bonheur est perdu, je ne serai plus son amant, je serai son ange gardien ; je la ferai heureuse, mon bonheur à moi sera de voir son visage souriant et son cœur paisible. Oh ! comme elle m’aimera, comme elle devra m’aimer !

J’ai dit que mon bonheur était perdu !

Ne sera-ce pas encore un bonheur de tout faire pour la femme que j’aime, de lutter pour elle contre le ciel et contre la terre, de la rendre heureuse malgré Dieu et malgré les hommes, de triompher de moi-même, de lui faire un bonheur avec mes souffrances.

Oui, mon Hélène, tu seras heureuse ; je ne t’abandonnerai pas, je feindrai même d’être calme, d’être heureux. Quand ton enfant naîtra, je dirai : — Il me ressemble. — Je le caresserai, et d’ailleurs, n’y aura-t-il pas de toi en lui ?

Je renonce à la vie, à mon bonheur, à mes passions.

— Hélène ! cria-t-il, Hélène !

Elle accourut.

— Mon Hélène, dit il d’une voix douce et calme, le malheur qui nous arrive frappe sur tous les deux ; il faut rester unis pour le supporter ; mon cœur ne cessera pas d’être à toi.

Et, qui sait, peut-être n’est-ce pas un malheur ; il y a des chances pour nous. Sans doute cet enfant est à nous ; nous l’aimerons, Dieu nous protégera.

— Maurice, dit Hélène, sois béni ; tu fais plus pour moi que Dieu n’a jamais fait.

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