De la couronne nuptiale,
Peut-être un jour un autre plus heureux.
D’une profane main ornera tes cheveux ;
Et sur ta bouche virginale
Ses lèvres cueilleront ce baiser amoureux.
L’accident d’Hélène la retint quelques jours au lit.
Cependant Maurice, dont cette preuve d’amour avait un moment effacé tous les scrupules, recommençait à se livrer à de tristes impressions.
La grossesse d’Hélène était assez apparente pour qu’il ne pût la regarder sans songer à cette étrange et désolante situation.
Il eût mille fois mieux valu, pour l’un et pour l’autre, que l’enfant que portait Hélène appartînt évidemment au comte. Cette bonne fille, quoi qu’il pût lui en coûter, eût fait au bonheur de Maurice le sacrifice de se séparer de l’enfant aussitôt sa naissance, et Maurice eût encore tâché d’oublier.
Mais comment se résoudre à se séparer d’un enfant qui peut-être était à Maurice, à déshériter d’affections et de caresses le fruit de leurs amours ?
Mais aussi comment Maurice pourrait-il se résoudre à aimer et à caresser peut-être l’enfant de Leyen, le témoignage de la flétrissure de celle qu’il aimait ?
Cependant Richard, avec des intentions contraires, vint rendre à Maurice de la résolution et de l’énergie.
Maurice avait passé toute la journée chez lui ; triste, inquiet, irrésolu, voyant, malgré lui, que l’avenir ne semblait apporter pour lui et pour Hélène que mauvaises chances et chagrins ; que leur malheur à tous deux était relatif ; que, s’ils ne s’étaient jamais rencontrés, ils seraient restés sinon heureux, du moins calmes et aptes à un bonheur possible.
Il serait difficile de dire jusqu’où de semblables idées auraient conduit Maurice si Richard ne fût pas entré.
— Où es-tu allé aujourd’hui ?
— Nulle part.
— Où iras-tu ce soir ?
— Je resterai chez moi.
— Tu n’es pas allé chez mademoiselle Hélène ?
— Non.
— Hum ! dit Richard.
— Que veux-tu dire ? demanda Maurice.
— Rien, sinon que cela devait finir ainsi.
— Quoi, finir ? rien n’est fini.
— Écoute-moi, mon cher Maurice, et laisse-moi profiter des momens lucides qui, chez toi, deviennent prodigieusement rares, pour t’exprimer les inquiétudes de tes amis ; songe à ce que tu vas faire, Maurice, à tout ce que tu risques en épousant Hélène ; sois docile aux conseils de la raison.
Maurice fut choqué que la raison vînt se jeter dans une affaire de passions, qu’une raison à la portée de Richard voulût régler sa vie.
Et surtout qu’après avoir passé par les angoisses de la passion et de la douleur, lui, Maurice, ne fût que près d’arriver au point de sagesse où étaient naturellement Richard et les autres.
Et puis ce hum ! de Richard, ce hum ! qui signifiait passablement de choses : « C’était une folie, — du haut de ma sagesse, je l’avais ainsi jugé. — Cela devait finir, cela finit. — Je ris, moi, sage, des folies qui te déchirent l’âme, — j’ai pitié de toi, et je te tends la main, je veux te sauver, enfant ! »
Maurice ne put se résigner à justifier l’impertinence de ce hum ! — Quoi ! se dit-il, Richard, avec sa courte vue, sans comprendre aucun des ressorts qui me font agir, aurait fixé d’avance le chemin que je dois suivre, et je le suivrais !
— Ami Richard, dit-il, qu’appelez-vous la raison ? Quel est, je vous prie, le type de la raison ? où en sont les règles immuables par lesquelles vous prétendez me juger ? N’est-il pas à vous fort impertinent de me vouloir diriger d’après vos idées, et de dire : La raison, c’est ma manière de voir, quelque louches, myopes, presbytes, que soient mes yeux ?
La raison humaine, ami Richard, est une plaisante chose — dans votre bouche comme dans celle de tout le monde ; il a tort, veut dire : Il ne pense pas comme moi. Il a raison, signifie : Il est de mon avis.
Mais, si vous prenez pour prototype du bien et du bon votre propre raison, — en admettant que vous en ayez une, — pourquoi ne prendrais-je pas les mêmes droits que vous et ne me servirais-je pas de la mienne ? Si à vos yeux je suis fou, et si votre seul droit de me juger ainsi est que j’ai le malheur de ne pas penser comme vous, il s’ensuit nécessairement que vous ne pensez pas comme moi, et que je dois également vous trouver fou, en me réglant sur votre manière de procéder.
On ne pense pas assez à tout ce qu’il y a de suffisance et de vanité dans ce mot : Vous avez tort, ou, vous avez raison. L’homme qui le prononce dit implicitement : Il y a en moi un régulateur infaillible, sans cela mon opinion ne compterait ni plus ni moins que la vôtre, ce serait une opinion d’un homme ; mais je renferme en moi la sagesse universelle, vous pensez bien ou mal à proportion que vos idées se rapportent aux miennes.
Au nom du ciel, ami Richard, si vous croyez voir que je me trompe, n’est-ce pas même pour vous une preuve certaine que l’homme n’est pas infaillible, et ne devez-vous pas, en faisant un syllogisme dans les formes de l’école, vous dire :
L’homme peut se tromper, — majeure,
Or, je suis un homme, — mineure.
Donc, je puis me tromper, — conclusion.
Voici, continua Maurice, quelques-unes de mes raisons pour aimer et pour épouser Hélène, malgré sa flétrissure :
Je connais Hélène, je puis compter sur son amour et sur sa reconnaissance ; il est des choses que l’âme dit à l’âme, des choses dont on se trouve convaincu et persuadé sans qu’il soit possible de donner, par des paroles, des raisons de cette conviction ; pour moi l’avenir avec Hélène est sûr.
Pour le passé, voici mon raisonnement :
J’ai de l’amitié pour vous ; ce n’est pas ici le lieu de chercher jusqu’à quel point elle est juste et fondée. J’ai de l’amitié pour vous, et il m’importe peu que vous fassiez ce que bon vous semble, je ne me suis jamais inquiété de vos liaisons d’amour.
Qui m’empêche d’avoir de l’amitié pour Hélène, comme j’en ai pour vous ? Hélène est plus poétique, plus spirituelle que vous, cette amitié vaudra bien la vôtre, et elle a à me donner en outre des plaisirs auxquels sa beauté peut ajouter quelque prix.
Longtemps je me suis contenté de votre amitié.
Hélène me donne l’amitié, plus, les plus vifs plaisirs qu’il soit donné à l’homme de goûter.
Si, à cause de sa vie précédente, je ne peux avoir pour elle ce que moi j’appelle de l’amour, et ce que vous ne pourriez comprendre, il me reste cependant avec elle des chances de bonheur assez grandes et sans exagérations ni illusions.
Maurice continua longtemps sur le même ton, et les argumens qu’il n’opposait à Richard que pour ne pas paraître se ranger à un avis dont il était bien près, quand son ami était entré, finirent par le convaincre lui-même, et il alla chez Hélène.
Comme il entrait, il reconnut la voix d’Hélène qui chantait :
Komm, lieber mai, etc.
« Reviens, cher mois de mai. »