XXII UN REGARD EN ARRIÈRE.

— C’est singulier, dit Maurice, ce n’est pas la première fois que j’entends cette chanson, et il me semble même l’avoir entendue à une occasion que je ne me rappelle pas, chantée par la même voix.

— Pour la voix, dit Richard, qui l’accompagnait jusqu’à la porte, c’est celle de ta maîtresse; pour la chanson, c’est une ronde à danser très-connue, et il n’y aurait rien de singulier à ce qu’elle l’eût déjà chantée devant toi.

— Non, ce n’est pas cela, dit Maurice.

— J’y suis, reprit Richard. Te souviens-tu d’un soir où nous avons, par un temps affreux, été attendre des canards sur le bord d’un petit étang ? te souvient-il que tu ne tiras pas un coup de fusil ?

— Oui, oui, dit Maurice, distrait que j’étais par une voix de fille qui chantait cette chanson :

Komm, lieber mai, und mache.

C’est vrai, mais cela n’empêche pas que la voix d’Hélène me rappelle cette voix.

Richard quitta son ami, qui, arrivé près d’Hélène, la pria de chanter encore.

— Décidément, dit Maurice, c’est la même voix ; mais, ajouta-t-il, la maison aux églantiers, la maison de ta mère n’est qu’à quelques pas de l’étang, il n’y a rien d’étonnant que ce soit toi que j’aie entendue.

Et comme il s’efforçait de réveiller ce souvenir,

— Je me rappelle maintenant la maison ; ce soir-là, Richard et moi, nous avons failli y entrer pour demander à souper.

— Oh ! Maurice, dit Hélène, pourquoi n’y êtes-vous pas entrés, cela eût peut-être décidé de toute ma vie.

Après un long silence, elle répéta :

— Pourquoi n’êtes-vous pas entrés ?

Cela eût tout changé, j’ai été conduite où tu m’as trouvée par des accidens si faciles à éviter !

Et elle raconta comment, partie avec sa mère pour la ville, elles s’étaient endormies et réveillées à l’endroit d’où elles étaient parties.

Maurice se fit expliquer la route qu’elles avaient prise.

— C’est moi, dit-il, je me le rappelle bien, c’est moi qui ai retourné la charrette ; j’étais sorti pour éviter le trouble où était la maison de ma mère, dans l’attente d’une demoiselle de compagnie, qui, du reste, n’est pas venue.

Hélène demanda où demeurait la mère de Maurice.

— À mon tour, dit-elle, c’était moi qu’on attendait.

— Et c’est moi qui t’ai empêchée d’arriver. Hélène alors raconta son histoire, et Maurice aussi se rappela sa rencontre avec la civière qui portait Hélène à l’hôpital, et l’interruption par sa faute, de l’ouvrage de Fischerwald, ce qui avait privé d’ouvrage Hélène et Marie.

— Pauvre Hélène ! dit-il, j’ai, sans te connaître, exercé sur toi une funeste influence ; sans ce jeu d’écolier qui me fit retourner la charrette, je t’aurais vue plus tôt et rien n’aurait altéré notre bonheur.

C’est moi qui t’ai conduite au malheur.

Pauvre Hélène ! je réparerai le mal que je t’ai fait.

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