Les jours se passaient sans rien changer aux irrésolutions de Maurice. Quelquefois il sortait le soir avec Hélène ; des hommes, qu’il ne connaissait pas, la saluaient avec un sourire amical, et quelquefois, derrière eux, il entendait dire :
— C’est Hélène, la maîtresse du comte Leyen.
Tout cela lui remplissait le cœur de haine et de désespoir. Il lançait aux gens qui regardaient Hélène des regards menaçans ; parfois il la brusquait elle-même, puis il songeait à cet amour tendre et désintéressé qu’elle lui témoignait avec tant de charmes, et par de douces paroles il cherchait à lui faire oublier le chagrin que lui avait causé sa mauvaise humeur.
Hélène, pour subvenir aux dépenses de sa maison, continuait à vendre ses diamans et ses effets les plus précieux. Dans les momens où Maurice était le mieux disposé pour elle, et lui pardonnait son malheur en faveur de son amour, il se disait : Je ne me réunirai entièrement à elle qu’après qu’elle aura mis son enfant au monde. Ce n’était qu’un prétexte qu’il se donnait à lui-même, pour retarder une démarche dont les suites lui faisaient peur, et il ne parlait de rien à Hélène, pour ne pas prendre envers elle de nouveaux engagemens.
Pour la pauvre Hélène, elle n’avait qu’une idée, son amour pour Maurice; en son absence, elle se faisait belle pour lui, se parant de ce qu’il lui restait de pierreries, sans penser que cet éclat blessait les yeux et le cœur de son amant; un jour, cependant, elle avait lissé en bandeaux ses beaux cheveux bruns, séparés à leur racine par la raie blanche de la peau, sur son front brillait une riche émeraude, des émeraudes pendaient à ses oreilles et à son cou, elle était vêtue d’une robe de cachemire blanc à larges plis et à manches tombantes.
Elle était si belle ainsi parée, que Maurice, pendant tout le jour, la regarda avec admiration ; quelques jours après, il lui envoya un billet où il lui disait :
« Je passerai la journée avec toi ; pare-toi comme l’autre jour, jamais je ne t’ai vue si belle. »
Quand il arriva, Hélène était vêtue d’une robe de mousseline, ses cheveux encore séparés sur le front, mais il n’y avait plus d’émeraudes.
Après quelques instans, Maurice l’examina avec étonnement, et
— N’as-tu pas reçu ma lettre ? lui dit-il.
— Je l’ai reçue.
— Pourquoi n’as-tu pas fait ce que je t’avais priée de faire ?
Hélène devint rouge, et tout interdite, ne répondit pas.
— Tu n’as pas voulu, continua Maurice, faire de la toilette pour moi seul ?
— Non, dit-elle, ce n’est pas cela, j’ai eu quelques lettres à écrire.
— Eh bien, tu vas t’habiller, je t’aiderai.
— Non, dit Hélène, il est tard, et d’ailleurs tu serais trop maladroit.
— Eh bien, appelle ta femme de chambre : je me suis réjoui tout le jour de l’espoir de te voir ainsi parée, ne me refuse pas ce plaisir.
— Mon cher Maurice, tu es fou.
— Je t’en prie.
— Je suis souffrante, j’ai un horrible mal de tête.
— Tu ne souffrais pas quand je suis arrivé ; quelle raison peux-tu avoir de me refuser ?
— Tu me ferais plaisir de ne pas insister.
— Pourquoi ?
— Quelle opiniâtreté !… dit Hélène avec un peu d’aigreur.
— Je ne sais, dit Maurice, de quel côté est l’opiniâtreté ; mais je dirai plus facilement qui de nous deux manque de bonne grâce et de complaisance.
— Maurice, dit Hélène, et elle avait bien des larmes dans les yeux, je t’en prie, parlons d’autre chose.
— Non, dit Maurice impatienté, je veux au moins savoir pourquoi tu me refuses une chose aussi peu importante.
— Puisque c’est une chose si peu importante, pourquoi y tiens-tu obstinément ?
— Hélène, vous jouez-vous de moi ?
— Non, reprit-elle, mais je ne me soumettrai pas à un caprice ridicule et dont vous ne me donnez aucune raison.
En disant ces paroles, elle alla s’enfermer dans sa chambre, où elle se prit à pleurer.
Maurice prit son chapeau et sortit.
Hélène avait fait vendre la veille les émeraudes et le cachemire.