Le hasard conduisit Maurice au parc où il avait, quelques jours auparavant, passé la soirée avec Hélène. La porte était ouverte ; le jardinier n’y était pas. Il entra et alla s’asseoir sur la rive du petit étang.
Il y avait en cet endroit une fraîcheur et un calme délicieux. Les oiseaux, après quelques gazouillemens pour se disputer leurs nids, s’étaient endormis dans la feuillée. Un silence profond régnait au loin. C’est à cette heure que réellement l’homme peut se croire le roi de la nature. Car, tandis que tous les animaux sont engourdis par le sommeil, lui seul veille, et la terre prend une nouvelle parure ; les parfums deviennent plus pénétrans ; les étoiles se mêlent au feuillage noir ; les lucioles luisent dans l’herbe comme un reflet des étoiles.
Et l’homme pourrait croire que tout cela est fait pour lui, s’il ne sentait la présence invisible de quelqu’un plus grand que lui, qui lui inspire une mystérieuse terreur, telle qu’il n’ose élever la voix, et que le bruit de ses pieds sur les feuilles sèches le fait tressaillir.
— Ici, se dit Maurice, seul avec Hélène, j’oublierais sa flétrissure et je serais heureux.
À ce moment, il vit encore deux robes blanches glisser dans un taillis et se diriger vers la maison.
— Le hasard, continua Maurice, ne pouvait-il pas mettre Hélène à la place d’une de ces deux femmes, qui, peut-être pures, donneront toute leur vie à quelque idiot, qui vendra ce séjour enchanté pour aller à la ville livrer sa femme à des séductions qui feront le malheur éternel de l’un ou de l’autre.
Pourquoi Hélène n’est-elle pas dans cette situation ? moi, je ne gaspillerais pas un semblable bonheur.
C’est beau, ajouta-t-il, une fille chaste et pure, qui livre à la fois son corps et son âme, et toute sa vie. C’est plus beau encore de vivre seul avec elle, sous ces arbres, sur ces rives fleuries, sous ce ciel étoilé : comme une vie semblable, une vie toute d’amour, doit couler douce et paisible ! on mourrait sans avoir rien su des guerres, des haines, des soupçons.
Mais Hélène, je vivrais ici seul avec elle ! Que d’horribles souvenirs, comme des fantômes nocturnes, peupleraient malgré nous notre solitude !
Par momens j’ai comme un pressentiment que le lien que nous voulons former fera notre malheur à tous deux.
À moi surtout ; n’aurai-je pas d’horribles désespoirs ?
Et si je souffre, pourrai-je le lui cacher ? ne souffrira-t-elle pas de me voir malheureux ?
Il eût mieux valu ne pas nous rencontrer. Hélène eût été plus heureuse de rester avec Leyen, Leyen qui l’aime encore.
Il était tard, Maurice se leva, mais la grille était fermée ; il sortit par-dessus la muraille,
Et rentra chez lui, emportant cette idée funeste :
« Si je n’épousais pas Hélène, si je la quittais, elle retrouverait près de Leyen toutes les séductions de la richesse ; elle serait heureuse ! »