XXXIII MAURICE À HÉLÈNE.

Écoutez-moi avec calme, s’il est possible, Hélène, et soyez persuadée que l’amour seul que j’ai pour vous m’oblige à la résolution immuable que j’ai prise.

Il est impossible que nous soyons heureux ensemble.

Le destin a mis entre nous un malheur ineffaçable.

Il faut que chacun de nous suive la route dans laquelle il a été jeté.

Jamais nous ne serons heureux ; mais au moins nous éviterons les horribles tortures que nous nous faisons l’un à l’autre.

Retournez près de Leyen : depuis la lettre de lui que vous m’avez montrée, vous en avez reçu deux autres.

Moi, je vais partir ; quand vous recevrez cette lettre, je ne serai plus en Allemagne.

Il faut bien de l’amour pour consentir à vous perdre ; mais je ne pouvais vous condamner à la misère, vous, Hélène, que j’aime tant.

Cette place que l’on me donne à l’ambassade, on la refusait à un homme marié ; je ne pouvais gagner de quoi vous faire vivre.

Et d’ailleurs, si le sort m’avait été moins contraire, une nuit, en contemplant votre bouche rose, vos dents, tout votre corps, salis des baisers d’un autre, je vous aurais étranglée, comme plus d’une fois j’en ai senti l’affreuse envie.

Je ne te reproche rien, Hélène, car, je te le répète, je t’aime, je t’honore plus qu’aucune autre femme. Je ne te parle pas d’une faute, je te parle d’un malheur, d’un malheur qui nous frappe tout deux autant l’un que l’autre.

Résigne-toi à la vie dans laquelle le hasard t’a mise ; sois riche, adorée, livre-toi aux plaisirs, faute de bonheur.

Moi, je me rejette dans une vie errante et incertaine je me laisse aller, comme la feuille jaunie par l’automne se laisse aller au vent.

Plus tard, après les premières douleurs passées, nous pourrons nous voir, être amis.

Le ciel ne nous avait pas faits l’un pour l’autre ; il nous a fait payer cher les momens de bonheur dont nous nous sommes enivrés malgré lui ; aimons-nous, mais regardons-nous comme un frère et une sœur que les lois humaines séparent à jamais.

Adieu, toi que j’ai tant aimée, que j’aime tant encore, toi qui as rempli pour jamais ma vie d’amour et de douleur. Adieu ; je pleure en écrivant ce mot. Adieu… adieu !…

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