Il ne croit pas en Dieu, et n’ose sortir le vendredi.
(JUL*** D***.)
Nous nous sommes réservé de placer notre chapitre des lézards où, quand et comme nous le jugerions convenable. Néanmoins, nous ne nous conduisons pas en ceci purement d’après notre caprice ; mais, au contraire, nous pensons que c’est ici la place qu’assignent à ce chapitre important la raison et la logique.
Maurice, Leyen et Fischerwald sont couchés sur l’herbe, et causent. Certes, le lecteur s’étant laissé conduire là, nous aurions le droit de lui faire subir leur conversation. Nous n’abuserons pas de nos avantages, et nous lui offrirons une capitulation honorable.
À savoir : de lire le chapitre des lézards.
D’autre part, notre histoire va prendre une nouvelle face. Nos personnages vont avoir entre eux des relations nouvelles. Jusqu’ici nous n’avons fait qu’exposer notre drame, comme quand Agamemnon arrive en disant :
Oui, c’est Agamemnon, c’est ton roi qui t’éveille.
Nous pouvons nous permettre un entr’acte, et le remplir, comme on faisait autrefois, par un intermède.
Enfin, si quelqu’un n’approuvait pas la place que nous assignons à ce chapitre, il est libre de le passer, sauf à le lire à tout autre moment qui lui semblera le plus convenable ; car ce chapitre mérite d’être lu, en cela qu’il sape par la base un des plus vieux préjugés que nous connaissions.
Sérieusement, à ce propos, si nous nous étions trouvé vivre en un temps où fussent restées quelques croyances, nous n’aurions pas plus osé porter la main sur la moindre d’elles, que les Hébreux sur l’arche d’alliance. Car, à dire vrai, il n’est pas encore bien établi combien nous avons gagné à la destruction des croyances et des préjugés. Loin de là, nous avons souvent pensé — qu’il n’y a de beau dans la vie que ce qui n’y est pas, — c’est-à-dire que la vie nue, dépouillée des riches couleurs que lui prête le prisme de l’imagination, ne vaut guère la peine qu’on la vive, et ressemble à un papillon dont les ailes, froissées par une main maladroite, ont perdu leur brillante poussière écailleuse.
Tuer les croyances et les préjugés, c’est borner le monde à votre horizon, c’est rétrécir le cercle de vos sensations à la largeur de vos bras étendus ; c’est, à l’exemple de l’éphore Spartiate, couper deux cordes de la lyre ; — c’est, comme le tyran de Syracuse, jeter à la mer sa plus belle bague ; — c’est se mutiler comme Origène ; — et d’ailleurs, qui pourrait dire, sans risquer de se tromper, ce qu’il faut croire et ne pas croire ? Où est le régulateur de nos croyances ? Est-ce notre intelligence ? mais nous ne comprenons ni le soleil ni les étoiles, et jusqu’ici pourtant on croit au soleil et aux étoiles. — Qui comprend la sève, qui chaque printemps, de la terre nue et du bois mort, jaillit en gerbes de verdure, en fleurs et en parfums ? Personne encore cependant n’a songé à nier l’ombrage des chênes, la verdure des prairies, l’odeur des roses et des jasmins. — À seize ans, nous étions incrédule et blasphémateur — presque autant qu’un marchand de toiles de la rue Saint-Denis. Depuis, la solitude et l’étude nous ont suffisamment démontré la faiblesse de l’homme et de son esprit, et nous avons pris le parti de ne nier presque rien, de ne presque rien affirmer ; nous dont le génie ne peut analyser un brin d’herbe, nous qui avons passé des journées devant une fleur des champs, sans avoir vu tout ce qu’il y avait là de grand et d’incompréhensible ; — nous, à qui monsieur Serville, le savant naturaliste, a fait voir autrefois, sur les élytres d’un scarabée, plus de miracles et de prodiges qu’il n’y en a dans la religion d’aucun peuple.
Mais nous n’irons pas marcher seul contre le courant, et nous ferons comme les autres : nous tâcherons de détruire, — parce que nous ne sommes pas assez fort pour édifier. Un bûcheron abat, dans une année, quatre cents chênes. Tous les peuples du monde se réuniraient en vain pour créer un brin d’herbe. Il y a toute la puissance d’un Dieu dans cette feuille de saule qu’emporte l’eau du ruisseau.
LE LÉZARD AMI DE L’HOMME.
Il n’est pas que vous n’ayez entendu dire, et même que vous n’ayez dit vous-mêmes : Le lézard est l’ami de l’homme. C’est un axiome, une vérité fondamentale, que l’on accepte sans examen. Il y a même, à ce sujet, des histoires fort touchantes constatant la sensibilité du lézard. Il est des gens qui, étouffés des vertus qui leur remplissent le cœur, en imposent une partie aux animaux.
C’est ainsi que l’on a étrangement abusé du chien.
Or, le lézard n’est nullement ami de l’homme. Du plus loin que l’homme manifeste sa présence par le plus léger bruit, le lézard prend la fuite avec une rapidité incroyable, et se réfugie dans les fentes des pierres. Si cependant vous êtes assez leste pour mettre la main dessus, il rompra sa queue et vous la laissera dans les mains ; si vous le saisissez par le corps, il vous mordra, et la force seule lui manquera pour ne pas vous couper le doigt ; ensuite, et nous avons pour garant, outre notre expérience, monsieur de Buffon, qui cependant considérait le lézard comme son ami, gardez-le pendant un mois, il refusera obstinément toute nourriture ; il se desséchera et mourra.
Nous ne savons pas que le loup ni le tigre, eu égard à leur force, témoignent à l’homme moins d’amitié.
Et remarquez que ceci ne nous est inspiré par aucun sentiment de haine personnelle contre le lézard. Loin de là, nous passions au collége pour donner à ceux que nous possédions des soins beaucoup plus assidus qu’il ne semblait convenable à nos professeurs.