XL Les églantiers

Tout en se promenant dans la forêt, Maurice passa près de l’étang où, pour la première fois, nous l’avons vu avec Richard. Il aperçut la cabane de Marthe, et entra pour demander un peu de lait. Marthe sortit une vieille petite table, et plaça dessus du pain et du lait.

— Vous êtes seule ? dit Maurice.

— Oui, monsieur.

— N’avez-vous donc ni un fils ni une fille ?

— J’ai un fils et une fille. Le fils est soldat ; la fille m’a abandonnée, et je ne puis me souvenir d’elle que pour la maudire.

— Je vous plains ; car il faut qu’une fille soit bien coupable pour que sa mère croie devoir la maudire.

— Oh ! oui, Monsieur, elle est bien coupable ! elle a fait mourir son père de chagrin, et elle ne tardera pas à me conduire aussi au tombeau.

— Mais, ma bonne mère, vous me semblez jouir d’une santé excellente, quoique vous ne soyez plus jeune, et vous ne paraissez pas devoir mourir de sitôt.

— Oh ! monsieur, je commence déjà à me sentir du catarrhe qui a enlevé mon pauvre Éloi.

— Qui était cet Éloi ?

— Mon mari.

— Celui que votre fille a fait mourir je douleur ?

— Hélas ! Oui, monsieur.

— Mais vous paraissez dans l’aisance ; vous avez donc quelque bien ?

— Non, la conduite de notre fille avait fait perdre à Éloi sa place de garde forestier.

— De quoi vivez-vous ?

— D’une rente de 500 florins qu’elle me fait.

— Votre maison est charmante. Ces églantiers qui la tapissent sont d’un effet ravissant.

— C’est mon fils Henreich qui les a plantés. Le pauvre enfant ! Tenez, en voilà de blancs. Il disait en souriant : « Ce sera pour la couronne de mariée de ma sœur. »

— Eh bien ?

— Eh bien ! sa sœur ne se mariera pas.

— Pourquoi ?

— Ou si elle se marie, elle n’osera mettre dans ses cheveux une couronne blanche.

Maurice fit un geste d’étonnement. Marthe continua :

— Je puis vous le dire, car sa honte et la nôtre ne sont que trop publiques. Elle s’est vendue, monsieur ; elle s’est prostituée ; mais la malheureuse râlerait et demanderait sa mère, que je ne sais si je consentirais à la voir.

— Pauvre fille ! dit Maurice.

Marthe fut tellement surprise que la compassion de Maurice tombât sur sa fille au lieu de tomber sur elle, qu’elle prit sa réponse pour une distraction.

— Pauvre femme ! voulez-vous dire ? car je suis bien légitimement mariée, moi. Oh ! oui, je suis bien malheureuse d’avoir une semblable fille !

Maurice laissa une pièce de monnaie sur la table, et s’enfonça dans le bois en rêvant à ce qu’il avait entendu.

Share on Twitter Share on Facebook