XXXI Pauvre Hélène

Une grille bronzée, une cour, un escalier de pierre, puis un péristyle à colonnes.

Sous la remise, une voiture élégante, des chevaux dans les écuries.

Des domestiques dans l’antichambre.

Des statues et des vases de marbre dans la salle à manger.

Traversons un salon magnifiquement meublé : les murailles sont tendues de draperies bleues avec des torsades d’or ; des tableaux sont suspendus tout à l’entour ; de riches dorures, des porcelaines précieuses, chargent la cheminée et les consoles : aux fenêtres des rideaux de soie.

Passons.

Une douce odeur de fleurs et de parfums s’exhale en ouvrant cette porte.

Cette chambre est tendue de soie violette et manche ; — capricieusement bigarré, le jour pénètre, mystérieux, à travers des vitraux peints, que recouvrent des rideaux de soie blanche à bordures et torsades violettes ; des glaces qui vont depuis le bas jusqu’en haut reflètent les vitraux.

Des corbeilles de laque sont remplies de fleurs que multiplient cent fois les glaces ; — des divans de soie avec des torsades blanches sont entourés de corbeilles odoriférantes.

Et au fond un lit en ébène sculptée avec des rideaux, semblables à ceux des fenêtres.

Dans un coin, une harpe ; au plafond, une lampe d’albâtre.

Par terre, un tapis blanc semé de rosaces de diverses couleurs.

C’est la chambre d’Hélène.

Elle est à demi couchée sur un divan, vêtue d’une robe de mousseline blanche, dont les broderies ont coûté plusieurs mois de travail aux plus habiles ouvrières. Ses cheveux sont relevés sur son front ; sur son cou blanc tombe un collier d’émeraudes ; des émeraudes pendent à ses oreilles ; ses mains roses et effilées portent des bagues scintillantes ; ses pieds étroits sortent à moitié de pantoufles de velours cramoisi brodées en or.

Elle est encore pâle ; mais ses yeux ont repris leur éclat.

Si vos regards pouvaient pénétrer dans des chambres qui sont derrière celle-ci, vous verriez de grandes armoires en bois de cèdre : deux sont remplies de robes des plus rares étoffes et de toutes couleurs ;

Une autre de chapeaux, de fleurs, de plumes ;

Une autre de riches chaussures, de bas de soie, en si grand nombre, que la patience vous manquerait à les compter ; et, en plus grand nombre encore, des bas du fil le plus fin.

Puis, les autres armoires sont pleines de linge ; la toile en est si fine et si serrée qu’on croirait que des fées l’ont faite de ces fils blancs qui volent dans l’air à l’automne, et que les enfans appellent fils de la Vierge, les croyant échappés de la quenouille de Marie, tant ils sont blancs et légers : il y a deux cents chemises, des peignoirs brodés, des mouchoirs aussi curieux à voir que des tableaux précieux, tant les broderies en sont fines et délicates, et partout le chiffre d’Hélène brodé en or fin.

Pour faire tout cela, il a fallu deux mois, quoiqu’on ait employé, outre les ouvrières de la ville, celles des villes voisines à vingt lieues à la ronde.

Mais aucune reine n’a de plus beau linge, ni mieux travaillé.

Hélène est occupée à examiner une nouvelle bague qui lui a été donnée le matin, c’est une bague ciselée par un célèbre artiste : il y a là, au doigt d’une jeune fille, le travail de bien des jours et de bien des nuits d’un homme de génie ; pour le prix qu’elle a coûté, on achèterait la jument chérie d’un Arabe ; on achèterait toutes les vignes qui tapissent les côtes du Rhin, on achèterait trente consciences d’hommes incorruptibles.

On a entr’ouvert les vitraux pour laisser passer à travers les rideaux de soie l’air frais et pénétrant du soir, que l’on entend bruire dans les feuilles des arbres, dont la cime se balance devant les fenêtres.

Pendant qu’Hélène respire nonchalamment cet air pur, dans une autre pièce on charge une table de mets exquis.

Dans les cours, on atèle des chevaux qui piaffent et trépignent.

Tout cela est pour Hélène.

Tout cela est à Hélène.

Des voitures arrivent, et on en voit descendre des hommes richement vêtus, qui n’iront pas ce soir aux cercles de la cour, où on les attend et on les désire.

Tout cela est pour Hélène.

Ces hommes viennent l’admirer et envier le comte Leyen, et escorter sa voiture à la promenade.

Pauvre Hélène !

Heureusement que tu ne comprends pas bien ce qui serre ta poitrine à ce souffle harmonieux et pénétrant du soir.

Au printemps, sortent du bois mort, de la terre nue, l’herbe verte, les feuilles et les fleurs ; du cœur il doit sortir de l’amour, plus beau que les feuilles, plus doux que l’odeur des fleurs.

Pauvre Hélène, ce n’est pour toi qu’un besoin vague et inintelligible.

Pauvre Hélène !

Cette nuit où tu as payé tant de luxe ; cette nuit où tu as donné des plaisirs que tu n’as pas partagés, où tu as vu et causé des transports qui ne t’ont donné que de la honte et de l’effroi.

Elle t’a rendue triste et humiliée, et son souvenir t’a fait pleurer pendant plusieurs jours ; mais le luxe t’a étourdie, comme un parfum trop fort, et tes sens se sont un peu éveillés, et quelques étincelles de plaisir t’ont paru de l’amour : Ce n’est que cela ? as-tu pensé : alors autant que ce soit celui-ci qu’un autre.

Pauvre Hélène ! tu as payé tout cela bien cher ; prie le ciel, si tu penses encore à prier, qu’il te fasse mourir avant de le savoir.

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