Après avoir écrit le chapitre précédent, nous sommes resté peut-être un quart-d’heure renversé dans notre fauteuil, et suivant mentalement les conséquences de notre idée.
C’est ce qui arrive le plus souvent, que ce que l’on écrit ressemble à l’élan que l’on prend pour sauter.
Ou encore à une lutte préalable qui double les forces, comme le savent les lutteurs.
Puis, quand on a cessé d’écrire, quand l’imagination échauffée court avec une telle rapidité que les mots ne peuvent la suivre : ce que l’on pense alors, ce qui passe dans l’esprit, rapide et insaisissable, de telle sorte que, les yeux fixés devant soi, et presque jaillissant de la tête, on poursuit du regard ces images légères, vagabondes, vaut beaucoup mieux que ce qu’on écrit.
Il y a, nous le croyons du moins, de la musique qui, écrite pour un instrument, doit être baissée d’un ton ou d’un demi-ton pour la voix ou pour un autre instrument. C’est ce qui arrive au poète : ce qu’il pense est transposé, et bien misérablement, quand il l’écrit ; les langues sont bien impuissantes à rendre la pensée ; et quand vous blâmez son œuvre, plus que vous mille fois il en sent la faiblesse et l’insuffisance ; il est comme un musicien enroué, dont la voix ne rend pas comme il sent : il sent la note juste, et elle arrive fausse.
Il le sait et il souffre : et plus tard, quand il a vu que ce n’est pas impuissance de l’individu, mais impuissance de l’humanité, il ne cherche plus à vous dire que des choses traduisibles en langue vulgaire; il devient commun et rampant, et on l’applaudit.
Donc, en ce quart d’heure que nous restâmes renversé dans notre fauteuil, nos idées, suivant toujours l’impulsion que nous leur avions donnée, prirent une bizarre direction.
Ce qui eut ceci d’agréable pour nous, que nous comprîmes que le caractère de notre héros est vrai et pris sur la nature, puisque nous retrouvâmes en nous des inconséquences tout aussi fortes que les siennes.
En effet, par des transitions qu’il serait long et difficile d’expliquer, nous arrivâmes à réfuter tous nos argumens contre les montres et les pendules, et nous prîmes la résolution d’acheter une montre avec le prix du chapitre que nous avions fait pour en prouver au moins l’inutilité.