XXV

Le comte renouvela encore ses propositions à Hélène : elle refusa avec d’autant plus de courage qu’elle croyait qu’elle allait mourir, et que le tableau de la misère pour l’avenir ne l’effrayait plus.

La nuit, une lampe suspendue au plafond éclairait seule cette longue salle et les deux rangées de lits : c’était un triste et lugubre spectacle.

Il régnait un grand silence : de temps en temps seulement un gémissement qui sortait tantôt d’un lit, tantôt d’un autre, rompait ce silence de sépulcre.

Hélène ne dormait pas, une fièvre ardente tenait ses yeux ouverts. Elle songeait à un rayon de soleil qui avait un instant pénétré dans la salle ; elle songeait que les églantiers plantés par Henreich devaient être en fleurs ; elle se rappelait le calme et les douces joies de son enfance, et l’avenir riant qui se montrait alors, comme le soleil, quand à l’horizon, derrière les arbres, il se lève précédé d’une fraîche teinte rose.

Il fallait quitter tout cela pour mourir.

Mourir sans avoir vécu, sans avoir connu les joies de l’amour ni celles de la maternité !

Et, en effet, quoi de plus triste que de voir une jeune fille sur un lit de mort, de voir s’éteindre ces yeux qui n’ont encore fait frissonner le cœur de personne, pâlir ces lèvres qu’aucunes lèvres n’ont touchées, cesser de battre ce cœur qui n’avait battu que pour la vie, et d’un mouvement égal et monotone comme le rouage d’une machine, sans avoir battu pour l’amour et ses douces émotions ? Quoi de plus triste que de voir mourir avec elle tant de bonheur qu’elle avait à donner, tant de bonheur qu’elle avait à recevoir ?

Elle songeait aussi qu’elle mourrait sans doute dans une de ces nuits si effrayantes, qu’aucune main ne presserait ses mains pour lui dire adieu, qu’aucun regard ne recevrait son dernier regard, aucun cœur sa dernière parole ; qu’il n’y aurait personne pour l’aider à mourir et la conduire jusqu’à la porte de la vie ; personne pour lui parler de l’espoir d’une autre existence, personne pour lui parler du ciel.

C’était une de ces fleurs qui naissent et fleurissent dans un désert où le pied d’un homme n’a jamais foulé l’herbe, qui étalent au soleil les brillantes couleurs de leurs pétales que personne ne verra, exhalent des parfums que personne ne retirera, et se fanent. Éclat perdu ! parfum perdu !

Tout-à-coup, au milieu du silence, la vieille femme qui était couchée près d’Hélène, après quelque gémissemens, leva la tête : — Pourquoi ne dors-tu pas ? dit-elle ; tu as peur de perdre un peu du temps qui te reste à vivre. Moi, je dors, et je voudrais ne pas me réveiller ; je souffre trop. Cependant je vivrai plus longtemps que toi ; et si ces scélérats de médecins le voulaient, je ne mourrais pas. Comme je souffre ! il semble que dans mon corps mon cœur se détache ! Brigands de médecins ! ils dorment ! Ah ! mon Dieu ! que j’ai mal !… Oh ! cria-t-elle d’une voix sourde et déchirante, est-ce que je vais mourir ?

Personne auprès de moi ! pas de prêtre ! Je veux un prêtre ! je veux un médecin ! Messieurs les médecins, je vous en supplie, ne me laissez pas mourir ! faites-moi quelque chose ! on ne laisse pas ainsi mourir une femme sans secours.

Ah ! brigands ! ah ! scélérats !

Et, d’un mouvement convulsif, elle arracha ses couvertures et son linge ; puis son corps nu, décharné, se leva raide sur le lit, et tomba du lit sur le carreau. Une infirmière vint au bruit : elle était morte.

Hélène, froide de terreur, s’était caché la tête et ne respirait pas.

Le reste de la nuit, au moindre mouvement, elle croyait entendre la vieille femme se lever et venir à elle. Ce fut une nuit affreuse.

— Est-ce donc ainsi que je mourrai ? Et elle pleura.

Quand on va mourir, la vie paraît belle ; il semble qu’on n’a plus besoin de la parer de plaisirs ; elle paraît d’elle-même un plaisir et un bonheur.

Il semble qu’on serait heureux rien que de regarder le ciel, de sentir le vent dans ses cheveux, de respirer les fleurs, de se coucher dans l’herbe sous le feuillage.

Le matin, Marie apporta une lettre de Marthe.

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