XVIII

Il nous fut impossible de prononcer de vaines paroles après ce récit. Graziella resta immobile et sans geste, dans l’attitude où elle était en écoutant, comme si elle écoutait encore. Le silence, cet applaudissement des impressions durables et vraies, ne fut interrompu par personne. Chacun respectait dans les autres les pensées qu’il sentait en soi-même. La lampe presque consumée s’éteignit insensiblement sans qu’aucun de nous y portât la main pour la ranimer La famille se leva et se retira furtivement. Nous restâmes seuls, mon ami et moi, confondus de la toute puissance de la vérité, de la simplicité et du sentiment sur tous les hommes, sur tous les âges et sur tous les pays.

Peut-être une autre émotion remuait-elle déjà aussi le fond de notre cœur. La ravissante image de Graziella transfigurée par ses larmes, initiée à la douleur par l’amour flottait dans nos rêves avec la céleste création de Virginie. Ces deux noms et ces deux enfants, confondus dans des apparitions errantes, enchantèrent ou attristèrent notre sommeil agité jusqu’au matin. Le soir de ce jour et les deux jours qui suivirent, il fallut relire deux fois à la jeune fille le même récit. Nous l’aurions relu cent fois de suite qu’elle ne se serait pas lassée de le demander encore. C’est le caractère des imaginations du Midi, rêveuses et profondes, de ne pas chercher la variété dans la poésie ou dans la musique ; la musique et la poésie ne sont, pour ainsi dire, que les thèmes sur lesquels chacun brode ses propres sentiments ; on s’y nourrit, sans satiété, comme le peuple, du même récit et du même air pendant des siècles. La nature elle-même, cette musique et cette poésie suprême, qu’a-t-elle autre chose que deux ou trois paroles et deux ou trois notes, toujours les mêmes, avec lesquelles elle attriste ou enchante les hommes, depuis le premier soupir jusqu’au dernier ?

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