Ainsi s’écoula cette longue nuit d’hiver. Cette nuit n’eut pour elle et pour moi que la durée du premier soupir qui dit qu’on aime. Il nous sembla, quand le jour parut, qu’il venait interrompre ce mot à peine commencé.
Le soleil était cependant déjà haut sur l’horizon quand ses rayons glissèrent entre les volets fermés et pâlirent la lueur de la lampe. Au moment où j’ouvris la porte, je vis toute la famille du pêcheur qui montait en courant l’escalier.
La jeune religieuse de Procida, amie de Graziella, à qui elle avait envoyé son message la veille et confié le dessein d’entrer le lendemain au monastère, soupçonnant quelque désespoir de cœur, avait envoyé la nuit un de ses frères à Naples pour avertir les parents de la résolution de Graziella. Informés ainsi de leur enfant retrouvée, ils arrivaient en hâte, tout joyeux et tout repentants, pour l’arrêter sur le bord de son désespoir et la ramener libre et pardonnée avec eux.
La grand-mère se jeta à genoux près du lit en poussant de ses deux bras les deux petits enfants qu’elle avait amenés pour l’attendrir, et en se couvrant de leurs corps comme d’un bouclier contre les reproches de sa petite-fille. Les enfants se jetèrent tout en cris et tout en pleurs dans les bras de leur sœur. En se levant pour les caresser et pour embrasser sa grand-mère, le mouchoir qui couvrait la tête de Graziella tomba et laissa voir sa tête dépouillée de sa chevelure. À la vue de ces outrages à sa beauté dont ils comprirent trop le sens, ils frémirent. Les sanglots éclatèrent de nouveau dans la maison. La religieuse qui venait d’entrer calma et consola tout le monde ; elle ramassa les tresses coupées du front de Graziella, elle les fit toucher à l’image de la Madone en les pliant dans un mouchoir de soie blanc, et les remit dans le tablier de la grand-mère. « Gardez-les, lui dit-elle, pour les lui montrer de temps en temps, dans son bonheur ou dans ses peines, et pour lui rappeler quand elle appartiendra à celui qu’elle aime, que les prémices de son cœur doivent appartenir toujours à Dieu, comme les prémices de sa beauté lui appartiennent dans cette chevelure. »