XIII

J’ouvris la fenêtre qui donnait sur de petits jardins de pêcheurs et de blanchisseuses encaissés dans le rocher du mont Pausilippe et dans la place de la Margellina.

Quelques blocs de grès brun avaient roulé jusque dans ces jardins et tout près de la maison. De gros figuiers, qui poussaient à demi écrasés sous ces rochers, les saisissaient de leurs bras tortueux et blancs et les recouvraient de leurs larges feuilles immobiles. On ne voyait, de ce côté de la maison, dans ces jardins du pauvre peuple, que quelques puits surmontés d’une large roue, qu’un âne faisait tourner, pour arroser par des rigoles, le fenouil, les choux maigres et les navets ; des femmes séchant le linge sur des cordes tendues de citronnier en citronnier ; des petits enfants en chemise jouant ou pleurant sur les terrasses de deux ou trois maisonnettes blanches éparses dans les jardins. Cette vue si bornée, si vulgaire et si livide des faubourgs d’une grande ville me parut délicieuse en comparaison des façades hautes des rues profondément encaissées et de la foule bruyante des quartiers que je venais de quitter. Je respirais de l’air pur au lieu de la poussière, du feu, de la fumée de cette atmosphère humaine que je venais de respirer. J’entendais le braiment des ânes, le chant du coq, le bruissement des feuilles, le gémissement alternatif de la mer au lieu de ces roulements de voitures, de ces cris aigus du peuple et de ce tonnerre incessant de tous les bruits stridents qui ne laissent dans les rues des grandes villes aucune trêve à l’oreille et aucun apaisement à la pensée.

Je ne pouvais m’arracher de mon lit, où je savourais délicieusement ce soleil, ces bruits champêtres, ces vols d’oiseaux, ce repos à peine ridé de la pensée ; et puis, en regardant la nudité des murs, le vide de la chambre, l’absence des meubles, je me réjouissais en pensant que cette pauvre maison du moins m’aimait, et qu’il n’y a ni tapis, ni tentures, ni rideaux de soie qui vaillent un peu d’attachement. Tout l’or du monde n’achèterait pas un seul battement de cœur ni un seul rayon de tendresse dans le regard à des indifférents.

Ces pensées me berçaient doucement dans mon demi-sommeil ; je me sentais renaître à la santé et à la paix. Beppino entra plusieurs fois dans ma chambre pour savoir si je n’avais besoin de rien. Il m’apporta sur mon lit du pain et des raisins que je mangeai en jetant des grains et des miettes aux hirondelles. Il était près de midi. Le soleil entrait à pleins rayons dans ma chambre avec sa douce tiédeur d’automne quand je me levai. Je convins avec le pêcheur et sa femme du taux d’une petite pension que je donnerais par mois, pour le loyer de ma cellule, et pour ajouter quelque chose à la dépense du ménage. C’était bien peu, ces braves gens trouvaient que c’était trop. On voyait bien que, loin de chercher à gagner sur moi, ils souffraient intérieurement de ce que leur pauvreté et la frugalité trop restreinte de leur vie ne leur permettaient pas de m’offrir une hospitalité dont ils eussent été plus fiers si elle ne m’avait rien coûté. On ajouta deux pains à ceux qu’on achetait chaque matin pour la famille, un peu de poisson bouilli ou frit à dîner du laitage et des fruits secs pour le soir, de l’huile pour ma lampe, de la braise pour les jours froids : ce fut tout. Quelques grains de cuivre, petite monnaie du peuple à Naples, suffisaient par jour à ma dépense. Je n’ai jamais mieux compris combien le bonheur était indépendant du luxe, et combien on en achète davantage avec un denier de cuivre qu’avec une bourse d’or, quand on sait le trouver où Dieu l’a caché.

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