« LE COPAIN DE CHINE »

Je vais vous présenter mon copain de Chine.

Il était en déménagement, il descendait de l’atelier des travaux publics de Bougie, sur le pénitencier d’Aïn-Beïda.

— Pourquoi nous déplace-t-on ?

— Pour faire des économies, Bougie est supprimé.

— Si l’on en est aux économies, l’État aurait mieux fait de ne pas me trimbaler de Pékin à Marseille et de Marseille à Alger.

Vous allez voir qu’il était bien, mon copain.

Quand je passai dans la cour de son atelier, il me reconnut.

— Vous n’étiez pas à Pékin, voilà deux ans ?

— Si.

— Ce n’est pas vous qui veniez voir le capitaine M… à la caserne Voyron ?

— Si.

— C’est moi qui vous ouvrais la porte chaque fois.

— Et qu’est-ce que vous fichez à Bougie ?

— Pour outrages.

— C’est le capitaine M… qui vous a envoyé ici ?

— Non ! c’est l’autre.

Il y a deux compagnies de marsouins à Pékin pour la garde de la légation.

— Est-ce que l’on n’aurait pas mieux fait de me mettre en prison à Tien-Tsin ?

— Qu’est-ce que vous avez fait ?

— Rien. Une histoire de marsouins. Devrait-on juger les marsouins comme de la vulgaire infanterie ? J’avais traîné dans les quartiers de Hata-Men et j’avais bu. L’adjudant a pris un pain sur la figure, ça c’est vrai, mais ce n’est pas l’adjudant que j’ai voulu cogner, c’est l’homme qui m’eng… lait quand j’étais saoul. J’ai eu deux ans.

— Et ici ?

— Ici ? C’est la baraque à massacre. Je suis soldat de métier, pas ? J’suis donc pas suspect ! Eh bien ! je deviens antimilitariste. Est-ce que vous savez ce qu’on fait dans les pénitenciers ?

— Dites.

— Les fers, les coups de bottes, la crapaudine, la pelotte, la cravache et cent mille cochonneries. Mais c’est des choses pour des bêtes, tout ça ! Je suis un vieux soldat, moi ; je proteste au nom des vieux soldats. On est fait pour se battre, non pour être battu ! Depuis que je vois ce que je vois, j’peux plus voir l’uniforme.

Et mon vieux copain changea subitement de figure :

— Y m’ont donné de la haine.

*

* *

— Monsieur, me dit un fonctionnaire, à Tunis, je ne sais ce qui se passe dans les pénitenciers militaires, mais je vais vous dire une histoire vraie. Vous avez vu le garçon qui vous a servi. Je l’ai depuis trois ans chez moi. C’est un brave garçon. Voilà quatre mois, j’invite un officier à dîner.

— Tu peux nous servir, dis-je à Étienne.

Mais Étienne disparaît. Nous attendons. Je sonne. Étienne ne vient pas. Je vais à la cuisine :

— Eh bien ! qu’est-ce que tu fais ?

— Monsieur, dit-il, tout hors de lui, je ne puis pas vous servir, je m’en vais !

— Qu’est-ce que tu as ?

— Y m’en ont trop fait ! Y m’en ont trop fait !

— Qui ?

— Vous savez bien que j’ai été au pénitencier.

— Oui.

— J’peux plus les voir, plus les voir !

— Tu connais le capitaine ?

— Non, pas lui, tous !

Il se mit à pleurer. Puis, avec une cuiller, il frappait la table, à grands coups, comme pour l’assassiner, et dans ses larmes, il répétait :

— Y m’en ont trop fait, m’sieur ! trop fait !

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