Dans la haine

La haine est le visage des pénitenciers.

Au bagne, le masque est de misère, ici, de colère sourde.

Il est des sociétés de préparation militaire, les pénitenciers d’Afrique sont des sociétés de préparation antimilitariste. Que j’aie surpris les hommes sous le coup de foudre d’un commandement : « Pressons ! Coiffez-vous sur les yeux ! À gauche ! Immobile ! À droite, alignement ! Couvrez ! » ou la dame à la main frappant la route, ou le nez dans la gamelle, leur premier regard fut de haine.

Il fait haineux dans les pénitenciers comme il fait chaud dans une serre. S’il ne fait pas chaud dans une serre, à quoi bon y mettre des plantes ? Si ce n’est pour leur injecter de la haine, à quoi bon avoir des détenus ?

Les chaouchs ont une psychologie de lapin domestique. Ils inoculent la rage, et quand le sujet mord, ils l’appellent traître !

À la prison d’Alger, dans l’un de ces souterrains, où jadis les galants deys devaient jeter leurs belles épouses coupables, j’ai trouvé, recroquevillé sur un banc de pierre, un homme qui avait tout du magot. Il était défraîchi comme un vieux lacet de soulier qui n’a pas de très haut dominé la boue. C’était pour guérir ses rhumatismes qu’on l’avait mis trente pieds sous terre, sans doute. Il prit ses béquilles et vint vers moi, derrière les barreaux de fer. Et maintenant qu’il marchait, c’est d’un kangourou qu’il avait l’air.

C’était un « intellectuel ». Il était dans cette cage, en compagnie de six autres détenus. On pouvait lui donner cinquante-cinq ans, cinquante-cinq ans d’un homme fini.

— J’ai trente-six ans, dit-il.

— Bon détenu, fit l’agent principal. On me l’a envoyé d’Orléansville pour l’isolement. Mais sa conduite est exemplaire, et je lui laisse faire ce qu’il veut.

Il était là pour désertion.

Il branlait la tête, doucement, de bas en haut, comme sous le vent d’une grande folie sociale.

— J’aurai fini dans six mois, dit-il, je suis écrivain, je dirai tout cela…

— On l’a déjà dit, mon pauvre ami, fit l’agent principal.

— Oui, en effet, et ce qui sera difficile, ce ne sera pas de le dire, mais de le faire croire.

— Quand vous serez libre, vous oublierez tout.

— Oh ! non ! fit le perclus. On nous a enfoncé une haine éternelle. Pas pour votre prison, mais pour le pénitencier. Ai-je mérité des coups depuis neuf mois que je suis ici ? Non, et je n’en ai pas reçu, mais là-bas, on en veut à l’homme uniquement parce qu’il est un homme. Ce ne sont pas des surveillants qui gardent des coupables, mais des êtres humains acharnés sur d’autres êtres humains. Des sergents ? Non pas, ce sont des dieux destructeurs. C’est notre squelette qu’ils veulent et non notre amendement.

Avec l’une de ses béquilles, il frappa la dalle de sa cage. Ce geste fit visiblement souffrir le paralytique.

— Une haine, monsieur l’agent principal, plus forte que ma douleur.

Share on Twitter Share on Facebook