UNE VIE HUMAINE ENJEU D’UNE PARTIE

Un dimanche, dans un détachement de la province d’Oran.

Les détenus avaient récemment joué la vie du sergent-major aux cartes. Le sergent-major, quoique n’étant pas invité, avait, par bonheur, gagné la partie.

Ils étaient assis contre un mur, le derrière dans la poussière.

Un tirailleur gardait le lot. Il me prit pour un vigneron du domaine.

Je me présentai dans les règles. C’est un préambule important. C’est même le plus rude de la tâche. S’il s’agissait de s’amener et de dire : « Bonjour les gars, parlez le cœur sur la main », ce ne serait plus du travail, mais du plaisir. Je veux dire que ce serait plus commode. Il faut dire : « Je viens pour les journaux de Paris. C’est pour que ce qui se passe ne se passe plus. » Alors ils rient silencieusement d’un mauvais rire moqueur. On reprend : « Si chaque fois que l’on veut s’occuper de vous, on ne parvient qu’à vous faire rire, ce n’est pas étonnant que tout le monde vous plaque. » Souvent un gars répond : « Est-ce qu’on a été vous chercher ? » Alors on dit : « Aussi n’est-ce pas pour vous que je viens » et l’on passe à un autre.

Ayant bien compris ce que je venais faire :

— Comment voulez-vous que les sergents soient bons pour vous, puisque vous jouez leur vie aux cartes ?

— Vous mettez la chose à l’envers.

— C’est vous le caïd ?

Il sourit.

— D’ailleurs nous n’avons pas joué la vie du sergent.

— Bon ! je ne suis pas de la police. Mais supposons que vous l’ayez jouée.

— Supposons. C’est que depuis des mois il aurait été féroce avec nous. Ce n’est donc pas nous qui l’avons rendu féroce en jouant sa vie. Ce n’est pas la même chose tout de même !

— En jouant sa vie, vous jouez la vôtre ?

— Les Guyanes valent bien mieux qu’où nous sommes.

— Vous ne savez pas ce que vous dites.

Et le mot de la situation finit par sortir :

— Dans la haine, sait-on ce qu’on fait ?

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